Il est vrai que beaucoup de nos informaticiens ont préféré partir ailleurs, mais il doit bien en rester quelques-uns pour maintenir à flot les « systèmes informatiques » locaux, manifestement portés sur la panne. Tout un chacun a eu en effet le désagrément de se faire opposer le lancinant « revenez un autre jour, le réseau est en panne ». L’argument du « réseau » est dans ces cas imparable, puisque le client penaud ne peut rien vérifier. C’est la faute à personne, en tout état de cause pas au préposé au service.
Que certains de ces préposés en profitent pour aller ailleurs deviser du dernier feuilleton turc est en réalité une variante sur le thème, comme on dit en musique. Ceux qui disent connaître la musique, justement, prétendent que de petits malins font souvent le nécessaire pour mettre «en panne » le système pour vaquer à d’autres occupations, rarement professionnelles. Ces petits malins seraient, à n’en pas douter, des pêcheurs en eau trouble comme on dit. La multiplication des sources de pollution explique peut-être la chose, en tout cas explique pourquoi il y a tant d’incrédules dans cette affaire de « pannes du système ». A moins de supposer que, en réalité, tout le logiciel du pays soit en panne. Panne durable, dans ce cas-là. Il y a pourtant eu une période au cours de laquelle on avait cru avoir inventé le fil à couper le beurre. Avec « le peuple veut », appellation d’origine contrôlée (AOC) qui nous avait valu un prix Nobel de la débrouillardise, on a cru pouvoir compter sur soi. On appelait ça le populisme. Il faut dire, toutefois, pour corriger quelque peu le tir, que cette solution de sortie de crise est à la mode un peu partout dans le monde.
En attendant, le simple citoyen se positionne, conjoncturellement, sur quelques sujets majeurs dont, pour l’exemple, les moutons et la viande rouge. La guerre est déclarée entre ceux qui gagnent vraiment beaucoup et ceux qui payent vraiment très cher. Les pannes de réseau nous mènent dans ces cas à des ovins à trois mille dinars. Mais qu’à cela ne tienne, comme pour les pannes des réseaux et des systèmes, le commun des consommateurs estime que de petits malins agissent artificiellement en douce pour nourrir la famine des plus démunis. Les grands commis de l’Etat le disent aussi, sauf que personne n’arrive à bout du système. Les moutons seront moins chers quand les poules auront des dents. Pas de sitôt, en somme. L’habitude a bien été prise que chacun s’accroche à ses privilèges, et aux dividendes qui vont avec. Tout le monde est libre, mais le plus grand nombre est tout aussi libre de trouver la sauce un peu trop épicée. C’est ainsi que vont les choses chez nous, compte non tenu, bien entendu, des patriotes honnêtes, les « sadikoun ».
C’est ainsi, sauf qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Pour les comptes et les décomptes, le contribuable paiera, puisque la paperasse sera signée sans passer par les pannes récurrentes des réseaux bancaires ou les atermoiements des agents payeurs et ce, contrairement à ces fameux pêcheurs en eau trouble qui prétendent que plus de la moitié du flux économique tunisien se trouve dans une zone grise. Cela peut expliquer, au moins en partie, les pannes bienvenues des réseaux normalement gérés, en dehors des réseaux parallèles et par ailleurs juteux.
Dans l’intervalle, quand on observe que des voisins débrouillards n’ont aucun problème de cherté de la vie, il arrive que l’on ait des envies de faire la grève du zèle. Mais comme le zèle, et encore moins le travail, ne sont pas inscrits dans le programme dit de « peuple », on peut toujours se targuer d’avoir voté une loi sur l’organisation des contrats de travail et l’interdiction de la sous-traitance. En CDI, bien cloutés, les préposés au service peuvent désormais « craquer » le système en toute impunité.
Le mot de la fin est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n° 921 du 4 au 18 juin 2025
