Le Président de la République a rencontré le Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie. La réunion a évoqué la politique du compter sur soi. Est-ce que les retombées de cette approche sont positives ? Une analyse objective s’impose, car il s’agit bien d’un choix toujours à l’ordre du jour.
A l’origine, ce slogan (compter sur soi) a vu le jour dans le cadre du bras de fer implicite entre la Tunisie et les institutions financières internationales. Ces dernières adoptent toujours la même recette pour tous les pays qui se trouvent en détresse financière. Ayant une fibre sociale de premier plan, l’héritier du Palais de Carthage n’a pas hésité à réfuter ces formules et à lancer le défi de pouvoir honorer nos engagements internationaux sans recourir aux refinancements de ces dettes.
Maitrise de la dette extérieure
Bien que plusieurs analystes et agences de notation aient eu des inquiétudes quant à la capacité du pays à parvenir à respecter ses engagements extérieurs, la Tunisie a pu le faire. Personne ne peut nier que durant ces trois années, il y avait une sorte d’embargo financier non annoncé par les partenaires historiques. L’Union européenne n’accorde plus que des miettes au titre d’appui budgétaire, avec zéro dinar en 2023 et 2024. L’année dernière, les ressources totales mobilisées à ce titre étaient de 387 MTND contre 14 470 MTND budgétisés. Pour les projets, il n’y a pas de limitations dans les financements accordés, mais nous savons tous que ces montants sont plafonnés de facto, dans la mesure où le rythme de l’exécution est lent; sans compter la capacité limitée d’absorption de nouveaux projets de la Tunisie.
Le résultat est un encours de dette extérieure réduit. En 2023, il était de 66 874 MTND et le voilà fin 2024 à 61 418 MTND. Indéniablement, c’est une réussite.
Une marge de manœuvre réduite
Toutefois, comme toute médaille, il y a un revers. Cela a profondément impacté le fonctionnement de l’administration à l’échelle locale.
Primo, l’administration fiscale s’est trouvée dans l’obligation d’essorer les opérateurs économiques locaux, afin de récupérer le maximum de recettes fiscales. Le résultat est une recette fiscale moyenne de 3 479,5 MTND en 2024, contre 2 533,6 MTND en 2021. En d’autres termes, c’est une croissance annuelle moyenne de 11,1 % sur la période. Pour une économie dont le PIB en 2024 reste toujours inférieur à celui pré-COVID, c’est tout sauf un bon signe. Le ministère des Finances est bien conscient de cette réalité. Et le fait d’accorder deux amnisties fiscales en 2024 et 2025 en est la preuve.
Secundo, la pression exercée sur le marché financier local pour collecter des ressources a significativement contribué à la hausse des taux. Cela a rendu le lancement de nouveaux investissements mission quasi impossible pour la majeure partie des entreprises, concentrées plutôt sur l’exploitation qui coute cher. Maintenant avec l’impossibilité de financer son besoin en fonds de roulement par le système des chèques antidatés, bonjour les dégâts. Si cela passait dorénavant par les banques, les marges vont s’effriter et la profitabilité serait affectée. Les banques accepteront-elles d’accorder des prêts à des sociétés moins profitables; alors qu’elles ont la possibilité de miser sur la « vache à lait » de la gestion d’actifs?
Tertio, l’Etat n’a plus de marge de manoeuvre pour investir. Il a un rôle social crucial. D’un autre coté, les rémunérations des fonctionnaires sont considérées comme faisant partie de ce rôle car le fonctionnement des institutions de l’Etat n’a pas besoin d’autant d’effectif. En 2024, l’intérêt payé sur les dettes antérieures s’est élevé à 6 284,2 MTND (3 701,3 en 2021); contre des dépenses d’investissement de 6 031,8 MTND (4 506,2 MTND en 2021). La part de la dette interne était de 4 096,2 MTND (2 165,8 MTND en 2021). Nous sommes donc face à une situation qui intrigue.
Certes, il faut payer un prix pour sortir de l’ornière. C’est la règle universelle et la Tunisie ne peut pas en être l’exception. Ce qui compte maintenant, c’est de résister encore jusqu’à 2026 et mettre, dès maintenant, les jalons de la reprise. C’est ce qui importe le plus.