L’Assemblée nationale française, ayant adopté le renforcement d’accès à la nationalité française à Mayotte, finissant par entériner une drastique restriction du droit du sol, le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, a ouvert la boîte de Pandore en proposant d’appliquer ce scénario dans l’Hexagone. Un sujet brûlant qui touche plus de 728 000 Tunisiens résidants en France et qui bénéficient pour les deux-tiers de la double nationalité.
C’est un engrenage où il ne fallait pas mettre le doigt. Ainsi, en estimant que « la grande majorité des Français est d’accord, j’en suis sûr, pour revenir sur le droit du sol. La question migratoire, de l’identité du pays, du sentiment de submersion, tel que l’avait aussi exprimé le Premier ministre, doit apporter des réponses claires et fermes. On ne peut pas faire que des constats », le ministre français de la Justice Gérald Darmanin savait parfaitement qu’il allait soulever une vive polémique au sein de la classe politique eu égard de la sensibilité du sujet qui suscite régulièrement des débats passionnés, notamment dans un contexte politique marqué par des préoccupations migratoires et identitaires.
Polémique à la française
Pour rappel, en France, le jus soli – un principe juridique qui permet à une personne née sur le territoire français d’acquérir la nationalité sous certaines conditions – est critiqué par une partie de la classe politique, notamment à droite et à l’extrême droite. Laquelle estime que ce principe, introduit en France en février 1515 par un arrêt du Parlement de Paris, favorise une immigration incontrôlée et devrait par conséquent être remplacé par un droit du sang jus sanguinis plus strict, afin de restreindre l’accès à la nationalité française.
À l’inverse, les défenseurs du droit du sol rappellent qu’il est une tradition républicaine ancrée depuis la Révolution française et qui favorise l’intégration des enfants nés et élevés en France. Supprimer ou restreindre ce droit reviendrait, selon eux, à créer des générations d’apatrides ou de « Français sur le papier ».
« Qu’est-ce que c’est qu’être Français ?
Pour contextualiser ces propos choc, il faut rappeler que le garde des Sceaux s’est exprimé jeudi 6 février à sa sortie de l’hémicycle pour appeler à ce « que le débat public doit s’ouvrir sur le droit du sol dans notre pays » ; alors que l’Assemblée nationale venait d’adopter une proposition de loi portée par la droite visant à durcir les restrictions au droit du sol à Mayotte.
Selon le locataire de la place Vendôme, la question de lever l’automaticité de la nationalité française est un sujet qu’il faut porter au débat à l’occasion d’un référendum, ou lors de la prochaine présidentielle : « Aujourd’hui, a-t-il martelé, il n’y a pas d’effort à devenir français quand on est né quelque part, par le hasard de la vie, et je pense qu’il faut un effort pour le devenir ».
Et d’ajouter : « Quand j’étais ministre de l’Intérieur, on a imposé les entretiens d’assimilation dans le passage à la naturalisation pour ceux qui veulent devenir français sans être né ici. Il consiste à poser des questions sur les valeurs de notre pays, et son histoire. Cela a permis de faire baisser le nombre de personnes qui accèdent à la nationalité française ».
« Pour moi, être français, ce n’est pas une question de religion ou de couleur de peau. Mais être français, ça ne peut pas être non plus le hasard de la naissance. Être français, c’est une volonté. C’est le droit de la volonté », a conclu le garde des Sceaux.
Est-il en train de faire la courte échelle à l’extrême droite, notamment le Rassemblement national de Marine Le Pen, comme le soupçonnent des voix même dans son propre camp ? Le ministre de la Justice s’en défend en affirmant sur un ton gaullien que : « le sujet du droit du sol n’appartient pas au Rassemblement national. Pendant longtemps, la classe politique n’a pas été capable de défendre une conception républicaine et ferme de la nationalité. Je ne prends pas mes positions en fonction de ce que pense Marine Le Pen. Je les prends en fonction d’une certaine idée que je me fais de la France ».
Réagissant à la prise de position de son ministre, le chef du gouvernement François Bayrou a exprimé son souhait de rouvrir ce dossier explosif dans le cadre « d’un débat public approfondi et beaucoup plus large que ça », incluant d’autres sujets « qui fermentent depuis des années autour des notions d’identité et de citoyenneté ».
« Qu’est-ce que c’est qu’être Français ? Qu’est-ce que ça donne comme droits ? Qu’est-ce que ça impose comme devoirs ? Qu’est-ce que ça procure comme avantages ? Et en quoi ça vous engage à être membre d’une communauté nationale ? A quoi croit-on quand on est Français ? », a ainsi développé le locataire du palais de Matignon.
« Ce n’est pas un tabou »
A gauche, une nouvelle passe d’armes avec le tweet publié vendredi 7 février sur X par le patron du Parti socialiste, Olivier Faure. Lequel estime que « le débat sur l’identité nationale n’est pas tabou. Tout dépend ensuite de ce que l’on en attend : la confrontation de tous avec tous ou la cohésion ».
Réaction assassine de la part du leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon : « Ils n’ont plus de limite. Le PS a largué les amarres avec la non-censure. Ils sont prêts à tout accepter pour coller à Bayrou », a lancé l’ancien candidat à l’élection présidentielle, sur X.
Au final, il faudra signaler que la prise de position de M. Darmanin se situe au moment où jamais la société française n’a été autant marquée à droite et où le gouvernement de François Bayrou a grand besoin des voix du RN dans l’hémicycle pour se maintenir à Matignon. Faut-il y voir un clin d’œil à peine voilé à Marine Le Pen et consorts ?