Sur fond de sanctions occidentales visant les hydrocarbures venus de Russie, des pays d’Afrique du Nord se seraient « empressés » d’acheter massivement du carburant diesel et d’autres produits pétroliers russes. Le Wall Street Journal redoute que ces produits soient mélangés en vue d’être réexportés vers l’Europe.
L’embargo décrété par l’Union européenne sur les produits pétroliers raffinés russes a-t-il été détourné par les pays d’Afrique du Nord, dont la Tunisie?
Trois semaines après l’entrée en vigueur, le 5 février 2023, des sanctions occidentales visant les hydrocarbures venus de Russie, sur fond de la guerre en Ukraine, le prestigieux quotidien économique et financier américain, The Wall Street Journal, révèle dans son édition du 27 février 2023, que la Russie, étant coupée du marché mondial, les pays d’Afrique du Nord ont « drastiquement » augmenté les importations de diesel et d’autres produits pétroliers raffinés russes.
« Bouée de sauvetage pour Moscou »
« Les pays d’Afrique du Nord s’arrachent les produits pétroliers russes boudés par l’Occident. Permettant ainsi à Moscou de détourner les mesures prises par l’UE ». C’est ce qu’indique Will Horner sur les colonnes du quotidien new-yorkais.
L’expert en énergie a ainsi émis la crainte que ces « acquisitions massives » d’hydrocarbures russes ne soient une « bouée de sauvetage pour Moscou. Fournissant ainsi une nouvelle source de revenus à son économie », notamment après la décision de l’UE.
« Les achats des pays de l’Afrique du nord pénalisent les efforts des Occidentaux pour ne plus dépendre de l’énergie fossile russe. Des médias internationaux ont signalé que les eaux de la Méditerranée occidentale servent, en effet, au transfert du pétrole russe par de gros pétroliers, contournant ainsi l’embargo européen et américain ». De même, des analystes soupçonnent que « certaines cargaisons russes sont réexportées vers l’Europe », souligne la même source.
Les sanctions internationales ayant contraint Moscou à rediriger les exportations de l’Europe vers des marchés alternatifs, « les pays d’Afrique du Nord ont pris le relais », concluait-il.
Tunisie : appétit insatiable
A titre d’exemple, indique le Wall Street Journal « La Tunisie n’a presque pas acheté de produits pétroliers russes en 2021. Mais, ces derniers mois, elle a « absorbé » l’essence, le naphta, le carburant diesel et le gazole, couramment utilisés pour la production de plastiques et de produits chimiques. Ainsi, Tunis a acquis 2,8 millions de barils de produits pétroliers russes en janvier 2023 et devrait importer 3,1 millions de barils supplémentaires ce mois-ci ». (Mois de février 2023 NDLR).
Maroc : zones d’ombre
Même constat pour le Maroc dont les livraisons de diesel de la Russie au royaume chérifien « se sont accélérées pour atteindre 735 000 tonnes en 2022. Contre seulement 66 000 tonnes l’année précédente. Et elles ont totalisé environ 140 000 tonnes depuis le début de 2023 ».
« Certaines entreprises qui importent des produits énergétiques fossiles liquides pour répondre aux besoins du marché national ont commencé à introduire le gaz russe. Car son prix ne dépasse pas 170 dollars la tonne, soit 70 % de moins que sur le marché international ».
« Ces entreprises changent les preuves d’origine du gaz russe, comme s’il venait du Golfe ou d’Amérique. Et elles le vendent au prix international sur le territoire national, réalisant ainsi d’énormes profits ». Ainsi, s’interrogeait le député marocain Abdelkader Taher dans une question écrite adressée à la ministre de l’Economie et des finances, relayée par le 27 février dernier par le site marocain Yabaladi.com, sur les zones d’ombre entourant l’origine et le prix de ces achats.
Le pétrole russe « mélangé et réexporté » ?
D’autre part, le quotidien américain constate que « la hausse des importations vers la Tunisie et le Maroc a coïncidé avec celle de leurs propres exportations de produits raffinés ». Par conséquent « les hydrocarbures russes sont mélangés avec d’autres produits pétroliers et réexportés. Cela complique les efforts occidentaux pour éliminer les combustibles fossiles russes de leurs économies. Si la tendance se poursuit, priver Moscou de revenus serait ardu », écrit Will Horner.
Cette analyse est par ailleurs corroborée par Viktor Katona, analyste pétrolier en chef chez Kpler, l’entreprise internationale de Data Intelligence spécialisée dans le domaine des matières premières, notamment les produits raffinés et dérivés du pétrole. « On ne constate pas d’augmentation significative des capacités de raffinage de la Tunisie et du Maroc. Si donc, ces pays du Maghreb ne consomment pas eux-mêmes les quantités de pétrole importé de Russie, cette augmentation s’expliquerait par la réexportation vers d’autres destinations, dont l’Europe », a-t-il conclu.
Risque de pénurie
Par ailleurs, et sous nos cieux, il convient de noter que « la Tunisie pourrait faire face à une pénurie de carburant d’ici deux ou trois mois ». Ainsi pronostique Salouen Smiri, SG de la Fédération générale du pétrole et des produits chimiques, mercredi 1er mars 2023 sur les antennes de Shems FM.
« La hausse du prix du baril, combinée à l’instabilité financière et aux faibles réserves en devises pourrait provoquer une pénurie de carburant en Tunisie ». Par conséquent, « il est du devoir du pouvoir en place de renforcer rapidement le stock stratégique, vu le prix stable du baril », prévenait le responsable syndical.