Quand comprendra-t-on enfin que les difficultés économiques de la Tunisie ne sont en rien dues à l’endettement public ? Pourquoi l’orthodoxie financière dominante et la majorité des décideurs politiques s’obstinent-ils à considérer la crise actuelle comme celle d’une dette publique incontrôlée, alors que les véritables causes sont ailleurs ? Un retour sur l’histoire monétaire récente permettrait d’éclairer ce paradoxe.
Depuis les réformes inspirées par les institutions financières internationales, la Banque centrale de Tunisie (BCT) s’est vue privée de son rôle initial de soutien à l’économie nationale. Sous couvert de modernisation et de conformité aux standards internationaux, la BCT a vu son indépendance être renforcée, au détriment de la capacité de l’État à utiliser la politique monétaire comme outil de développement. Cette « indépendance » signifie concrètement que l’État tunisien ne peut plus financer directement ses déficits par la BCT et doit se tourner vers les marchés financiers, souvent à des taux prohibitifs.
L’origine de cette logique remonte aux réformes imposées par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, notamment à travers les programmes d’ajustement structurel des années 1980 et 1990. Ces politiques ont posé les bases d’une dépendance accrue aux financements extérieurs, en limitant le rôle de la BCT à celui d’un simple gardien de la stabilité des prix, au lieu d’un véritable levier de croissance.
L’argent au service de la stabilité financière et non au développement
La Tunisie, à l’instar de nombreux autres pays en développement, est donc prisonnière d’un système dans lequel l’argent créé par la Banque centrale n’est plus au service du développement national, mais de la stabilité financière et de la lutte contre l’inflation à tout prix. Pendant ce temps, les banques commerciales privées, elles, peuvent créer de la monnaie ex nihilo pour prêter à l’État avec des taux d’intérêt parfois élevés.
Dans ce contexte, la BCT, présentée comme une institution indépendante, se retrouve en réalité sous l’influence des intérêts bancaires privés et des institutions financières internationales. Loin d’être un instrument au service du développement économique tunisien, elle agit principalement en fonction des exigences de la stabilité monétaire et des préconisations du FMI.
Etranglement budgétaire chronique
Le résultat est un étranglement budgétaire chronique qui empêche l’État d’investir massivement dans les infrastructures, l’éducation, la santé et l’innovation. Contraint de se financer sur les marchés financiers, la Tunisie se retrouve piégée par une dette coûtant de plus en plus cher, pesant sur la croissance et le pouvoir d’achat des Tunisiens. L’indépendance de la BCT n’est donc qu’un mythe, masquant une dépendance accrue à des logiques financières qui ne servent ni l’intérêt national ni le développement économique du pays.
Il est temps de repenser le rôle de la Banque centrale tunisienne et d’ouvrir un débat sur sa mission. Doit-elle être un simple agent de stabilité monétaire ou un véritable acteur du développement ?
La crise économique actuelle n’impose-t-elle pas de rompre avec les dogmes du passé pour remettre la politique monétaire au service de l’économie réelle, afin de relancer l’investissement productif et l’emploi ?
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)