Malgré des pressions et menaces de sanctions (américaines, en particulier), les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont délivré des mandats pour « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre » contre le Premier ministre israélien, B. Netanyahou, et son ex-ministre de la défense, Y. Gallant. C’est un évènement historique. En effet, il s’agit d’actes émis par une juridiction pénale internationale qui, pour la première fois, incriminent des dirigeants israéliens, appartenant au bloc occidental. Un précédent qui tend à relégitimer la CPI, qui faisait face à la critique suivant laquelle elle ne poursuivait et ne condamnait essentiellement que des responsables africains.
A l’inverse, après avoir déjà émis des mandats contre le président russe V. Poutine (chef d’une grande puissance nucléaire), les mandats contre B. Netanyahou et Y. Gallant charrient un message fort : la fin de l’impunité (des alliés) des puissances occidentales.
L’application de ces mandats n’est pas garantie pour autant, y compris de la part d’Etats membres de la CPI, dont la France.
Dans un entretien sur France 2, début juin, le président Macron avait affirmé qu’en cas de mandat d’arrêt, il continuerait « d’appeler, de voir, de travailler avec Netanyahou aussi longtemps qu’il sera Premier ministre d’Israël, parce que c’est indispensable ».
Si ces mandats d’arrêt restreignent la liberté de circulation des deux responsables israéliens poursuivis (désormais appelés à évaluer les risques de leur déplacement à l’étranger), leur future arrestation n’est pas acquise. La CPI ne dispose pas de forces de police pour exécuter ses décisions et demeure donc dépendante de la coopération des 125 Etats membres du Statut de Rome (dont ne fait pas partie Israël).
Certes, ils ont en effet l’obligation d’arrêter les personnes poursuivies et de les remettre à la Cour. Or, de fait, les réactions varient du côté des alliés d’Israël. Au-delà du cas des Etats-Unis (non membre de la CPI), la France elle-même défend une position des plus ambiguës. Dans un entretien sur France 2, début juin, le président Macron avait affirmé qu’en cas de mandat d’arrêt, il continuerait « d’appeler, de voir, de travailler avec Netanyahou aussi longtemps qu’il sera Premier ministre d’Israël, parce que c’est indispensable ».
Le malaise suscité par cette déclaration a été renforcé par le communiqué du 27 novembre (publié suite à la délivrance des mandats), par lequel la diplomatie française, tout en reconnaissant l’exigence de coopération avec la CPI, a estimé que le statut de Rome prévoyait qu’un Etat ne pouvait être « tenu d’agir d’une manière incompatible avec ses obligations en vertu du droit international en ce qui concerne les immunités des Etats non parties à la CPI ». Autrement dit, la France soutient que les mandats d’arrêt ne pourraient pas être exécutés par elle en raison des immunités dont B. Netanyahou et Y. Gallant bénéficieraient en tant que membres d’un gouvernement d’un Etat ne reconnaissant pas la CPI.
Les Etats parties ont l’obligation d’arrêter et de remettre les personnes recherchées par la Cour, même s’ils ont le statut de chef d’Etat ou de gouvernement d’un pays qui ne reconnaît pas sa compétence.
Une position injustifiable en droit, la CPI ayant été instituée justement pour déroger au principe coutumier des immunités internationales dont jouissaient traditionnellement les gouvernants. La pratique et la jurisprudence de la CPI sont univoques. Ainsi, dans la décision de la chambre d’appel de la CPI, du 6 mai 2019, sur le cas de l’ex-président Omar Al-Bachir, la CPI a clairement tranché. Et ce, en considérant que la Jordanie avait manqué à ses obligations en ne procédant pas à l’arrestation d’Omar Al-Bachir venu sur son sol, érigeant ainsi l’article 27 du statut de Rome, selon lequel les immunités ne s’appliquent pas devant la CPI, en principe coutumier du droit international.
En d’autres termes, les Etats parties ont l’obligation d’arrêter et de remettre les personnes recherchées par la Cour, même s’ils ont le statut de chef d’Etat ou de gouvernement d’un pays qui ne reconnaît pas sa compétence.
Ainsi, du point de vue du droit international, la France est tenue de coopérer avec la CPI en arrêtant et en lui remettant B. Netanyahou et Y. Gallant, si ces derniers s’aventuraient sur son territoire. En refusant de les arrêter et en ignorant donc ses obligations, la France risquerait d’être sanctionnée par l’Assemblée des Etats parties de la CPI.
La France participe à la fragilisation du droit et du système international au profit d’une sorte de« loi de la jungle » dictée par les seules logiques d’intérêt et de rapports de force.
Politiquement, une telle position sape la crédibilité de la France qui aime à ériger le droit international en boussole de sa politique extérieure. Une crédibilité d’autant plus affectée que la ligne suivie au nom du soutien inconditionnel à Israël dévoile de manière crue une politique du double standard, à géométrie variable. Il suffit ici de rappeler que la France avait salué la délivrance des mandats de la CPI contre V. Poutine, puis fustigé le comportement de la Mongolie (Etat partie au Statut de Rome) qui avait violé ses obligations en ne procédant pas à l’arrestation de V. Poutine (qui se trouvait sur son territoire).
Derrière ces fluctuations, la France participe à la fragilisation du droit et du système international au profit d’une sorte de« loi de la jungle » dictée par les seules logiques d’intérêt et de rapports de force.