On croyait que le long et tragique feuilleton de l’attentat de Lockerbie avait trouvé son dénouement définitif en 2008 et que le dossier était clos. Les journalistes de mon âge ont sans doute suivi pendant de longues années les péripéties et les développements de ce dossier. De l’attentat contre l’avion de la Pan-Am sur la ville écossaise de Lockerbie le 21 décembre 1988 jusqu’à l’accord américano-libyen signé le 14 août 2008 à Tripoli par le secrétaire d’Etat américain adjoint chargé du Proche-Orient, David Welch, et le vice-ministre libyen des affaires étrangères chargé des Amériques, Ahmad Fitouri. Le point fondamental de cet accord imposait à la Libye le paiement de quelque 2 milliards de dollars en indemnisations des victimes des attentats de Lockerbie et de la boite de nuit de Berlin.
L’accord, rappelons-le, est intervenu deux semaines après l’adoption par le Congrès américain le 31 juillet 2008 d’une loi (Libyan Claims Resolution Act) portant sur la normalisation entre les États-Unis et la Libye à travers la création d’un Fonds destiné à recevoir les indemnisations versées aux victimes américaines du terrorisme. Cette loi, promulguée par Bush fils le 4 août 2008, garantissait expressément à la Libye, une fois les victimes de Lockerbie indemnisées, d’être à l’abri de toute nouvelle poursuite.
Un dossier clos qui refait surface
La Libye avait donc payé la totalité de la somme exigée et le dossier était clos jusqu’au… 21 décembre 2020. Ce jour-là, une dépêche de l’Agence Reuters nous annonçait que « les États-Unis ont inculpé un Libyen, Abou Agila Mohammed Masoud, accusé d’avoir participé en 1988 à l’attentat de Lockerbie. (…) Les responsables américains ont dit espérer que la Libye permettrait à l’accusé d’être jugé aux États-Unis. »
Nouveau rebondissement donc dans cet interminable feuilleton. Le 11 décembre 2022, l’une des principales informations des médias internationaux a porté sur l’arrestation d’Abou Agila Mohammed Masoud et son emprisonnement aux Etats-Unis. 20 jours plus tôt, le 21 novembre, Abou Agila Masoud fut kidnappé de chez lui à Tripoli par une milice armée.
Entre son kidnapping à Tripoli le 21 novembre et l’annonce de son emprisonnement le 11 décembre, personne ne sait ce qu’est devenu Abou Agila Masoud, ni par quel moyen et suivant quel itinéraire il a été amené de Tripoli jusqu’aux Etats-Unis. Mais chacun peut donner libre cours à son imagination pour tenter de deviner comment et suite à quels agissements, manœuvres, combines et machinations, un citoyen libyen kidnappé de chez lui se retrouve quelques jours plus tard dans une prison américaine?!
Les USA et le non respect de la parole donnée
Mais pourquoi s’étonner du non-respect des Etats-Unis de la parole donnée, de la loi promulguée et de l’accord signé en relation avec le dossier Lockerbie, quand ils ne les ont pas respectés dans des dossiers d’ampleur géostratégique, mettant ou susceptible de mettre la paix mondiale en danger?
Le non-respect de leur promesse que l’Otan n’avancera pas d’un iota au-delà de la frontière allemande est à l’origine de la guerre d’Ukraine qui met le monde entier dans la plus grave crise depuis 75 ans…
Le reniement de leur accord avec l’Iran sur le dossier nucléaire accroit la tension dans le Golfe et prolonge indéfiniment les sanctions économiques inhumaines et les souffrances de 70 millions d’Iraniens…
Il va sans dire que cette grande puissance qui se soucie comme d’une guigne des paroles qu’elle donne, des promesses qu’elle fait, des lois qu’elle promulgue et des accords qu’elle signe, ne peut pas se gêner de rouvrir un dossier aussi marginal et aussi peu important que celui de Lockerbie.
Cette grande puissance peut donc rouvrir ce dossier clos depuis 14 ans et trainer en justice le citoyen libyen Abou Agila Masoud. Mais, sans remonter trop loin dans l’histoire, de nombreuses questions se posent.
L’impuissance de la justice et la brutalité de la force
Qui peut ouvrir le dossier libyen et trainer en justice Barack Obama, Hillary Clinton, David Cameron, Nicolas Sarkozy et l’état-major de l’Otan pour la destruction de la Libye.
Qui peut ouvrir le dossier de l’Irak et trainer en justice George Bush, Tony Blair et leurs collaborateurs civils et militaires? Et ce, pour l’agression armée contre l’Irak, sa destruction et la transformation de la vie de 20 millions d’Irakiens en enfer?
Qui peut ouvrir le dossier de l’Afghanistan et trainer en justice Bush, ses collaborateurs et ses généraux pour les crimes commis contre ce pays vingt ans durant?
Dans une tentative de trouver une solution au récurrent problème posé depuis la nuit des temps par l’impuissance de la justice et brutalité de la force, le philosophe français Blaise Pascal a dit un jour : « N’ayant pu faire que la justice soit forte, il faut faire en sorte que la force soit juste. » Le déchainement hystérique depuis des décennies de la plus grande puissance militaire du monde contre des peuples et des pays sans défense, rend la réflexion du vénérable philosophe français futile et quelque peu ridicule.