Lors de sa dernière grande déclaration, dimanche 1er mai, à la veille de l’Aïd-el-Fitr, le président Kaïs Saïed a ouvert officiellement la voie à l’élaboration d’une nouvelle Constitution. Après son « coup de force constitutionnel », il appelle ainsi à un acte de rupture définitif avec la Constitution de la seconde République, entrée en vigueur il y a moins d’une décennie. Une situation qui renforce donc l’insécurité juridique, synonyme d’affaiblissement de l’Etat de droit.
En sa qualité de norme juridique suprême, la Constitution doit être un point d’ancrage et de référence solide, fiable et stable. Or depuis la révolution, la société politique n’a su sortir de ses atermoiements institutionnels. Et ce, quant à la nature du régime politique désiré. Dans le même temps, il n’est pas rare ou surprenant qu’une révolution ouvre une longue période d’instabilité. Les expériences historiques montrent que la recherche d’une plus grande stabilité se heurte à la volonté de transition brutale vers un régime radicalement différent. Sur ce point, le cas de la Tunisie n’est pas exceptionnel. En témoigne celui de la France.
L’expérimentation politique de la Constitution de 2014 est un échec
En effet, l’organisation du pouvoir au sein de l’État relève de la liberté souveraine du pouvoir constituant détenu par le peuple. La constitution de l’État fixe alors la répartition verticale et horizontale des compétences au sein de l’État. Toutefois, au-delà de ce cadre constitutionnel, le mode de gouvernement comme la nature du régime politique d’un État est l’expression d’un système de valeurs. Lequel résulte d’une histoire et d’une culture politique propres; mais aussi d’une idéologie dominante.
Ainsi, l’Assemblée constituante élue en 2011 s’était déjà engluée dans des débats interminables. Ils se sont concluaient sur une sorte de compromis insatisfaisant autour d’un régime hybride, mi- présidentiel, mi- parlementaire. Sur le papier, cette quête d’équilibre était louable. En pratique, elle ne tenait pas ses promesses institutionnelles.
D’ailleurs, la dérive présidentielle enclenchée par Béji Caïd Essebsi fut confirmée jusqu’à la caricature par son successeur. Une solution constitutionnelle qui a également contribué à la paralysie du système politique. Jusqu’au double point de rupture que représentent « le coup de force constitutionnel » et l’annonce d’une nouvelle Constitution par Kaïs Saïed.
L’expérience française en matière d’instabilité constitutionnelle
En France, depuis la Révolution de 1789 jusqu’en 1958, aucun des régimes expérimentés n’est parvenu à bâtir un régime durable. D’abord, la France connut alternativement des monarchies (1789-1792, 1814-1848), deux empires (1804-1815, 1852-1870) et cinq républiques. Ainsi que diverses formes de gouvernement d’une nature plus difficilement identifiable.
En outre, la richesse de cette expérience constitutionnelle se vérifie également au regard de la typologie des régimes politiques pratiqués. Même s’il semble impossible de déceler prima facie un élément de continuité en matière d’organisation des pouvoirs publics.
Alors, perdus dans ce véritable « laboratoire d’expérience constitutionnelle », les citoyens tendent à ignorer le nombre de constitutions qui ont jalonné leur histoire politique nationale. Cette dernière étant traversée par la persistance, depuis 1789, d’une confrontation idéologique sur la nature du régime. A savoir que: « [l]es constitutions, au lieu d’être un élément de cohésion nationale et sa référence, [ont] toutes été des sujets de discorde et des enjeux de controverse » (R. Rémond).
L’adaptabilité de la constitution française adaptable
Au-delà du fil qui relie la Constitution de 1958 à l’histoire constitutionnelle française, la Ve République peut se targuer d’une exceptionnelle longévité. Tel est l’esprit qui anima les constituants de 1958. A cet égard, la rigidité de la Constitution et les « limites » posées au pouvoir de la réviser traduisent précisément leur volonté de fixer un cadre constitutionnel stable pour la Ve République. Allant au-delà des fluctuations politiques, morales, économiques ou sociales.
De plus, taillée à la mesure du général de Gaulle, la Constitution de 1958 lui a survécu. En fêtant son cinquantenaire, elle a aussi conforté son titre honorifique de « vice-doyenne » des constitutions françaises. Une longévité qui témoigne finalement de la capacité d’adaptation de la Loi fondamentale, de ses organes constitutionnels et de ses acteurs politiques.
En sus de sa permanence, la Constitution de 1958 aurait donné à la France un régime politique et institutionnel stable, structuré et relativement solide. Celui-ci ayant su surmonter toutes les difficultés auxquelles il a été confrontées. Avec notamment: la décolonisation algérienne (1958-1962); la démission du « Père-fondateur » ou « figure tutélaire » (1969); le décès d’un président de la République en exercice (1974); l’alternance politique (1981), des périodes de « cohabitation » officielles (1986-1988, 1993-1995, 1997-2002) ou officieuses (1974-1976, 1988-1991); la crise « des gilets jaunes » (2019). De tels évènements politiques auraient pu emporter nombre des régimes qui ont jalonné l’histoire de France…