La roulette russe ne ressemble que très vaguement aux paris sportifs du Promosport. Elle se pratique avec une balle, une seule balle de révolver qui fonctionne d’habitude avec six balles. Le joueur se tire une balle dans la tempe, le hasard faisant qu’il a une chance, ou un risque sur six, de passer de vie à trépas. Le plus palpitant dans ce jeu macabre est la prise de risque, preuve s’il en est du courage du joueur et de l’importance du hasard. Bien entendu, il y en a qui, pour tricher avec le sort, insèrent une balle en blanc et s’en tirent ainsi à tous les coups.
Pour la triche, il semble bien que pour beaucoup de nos politiques aux affaires depuis un temps, la pratique est bien établie. On a bien vu que malgré toutes les sommations venues de l’intérieur et de l’extérieur, malgré l’arsenal d’armes de toutes sortes placés sur la tempe, les querelles de clochers décrépis continuent, toujours au nom d’une démocratie que l’on viole dans les salons où l’on cause pour mieux s’en revendiquer en face du grand public. La cruche est ainsi allée aussi souvent à l’eau, qu’elle a fini par se briser. K. Saïed connaît probablement la fable de « Pierrette et le pot au lait » et il a donc fini par briser la glace ainsi que le pot de terre.
Il savait certainement que le ras-le-bol des citoyens lui donnait des atouts dans sa manche. On ne peut pas vraiment en juger par les attroupements de soutien, pratique bien établie pour saluer les « sauveurs » de toutes sortes. Mais on constate tout de même que de nombreux politiques ont émis des protestations de pure forme, lors même que la table qui venait d’être renversée emportait aussi leur gamelle tendue pour les faux frais de la République. On a même cru comprendre que des chancelleries habituées à être sourcilleuses sur la question démocratique ont émis des réserves sur le nécessaire retour aux normes, ceci dit sans vraiment condamner le « coup » qu’ils ne considèrent manifestement pas comme un coup d’Etat.
Le Président a ainsi suspendu le processus à la dérive pour un mois. Ou c’est trop court pour l’imaginer vraiment redresser la barre, ou c’est trop long si on devait revenir à la case départ. Dans la roulette russe, ça passe ou ça casse. Quand la balle unique est enclenchée, il n’y a plus de regret à avoir, et les piégés actuels du tir groupé ne se priveront certainement pas du plaisir de la revanche sans mesure. Ils doivent bien savoir au fond d’eux-mêmes qu’ils ont cassé la branche sur laquelle ils étaient assis, mais demander un examen de conscience ne ressemble pas à la moralité politique, surtout quand des intérêts financiers importants sont en jeu. Cela vaut tout spécialement pour le projet d’amnistie proposé aux indélicats du fisc parmi les gros bonnets, en contrepartie de leur implication effective dans les travaux de redressement économique en faveur des plus démunis.
Il fallait probablement en venir à cela, toute honte bue du côté de la morale. La pratique politique, dite démocratique à la tunisienne, ressemble fortement à la gestion des fortunes des uns, et des infortunes des autres. Et à chaque fois que les mains sont prises dans les sacs, on change de ministre, de temps à autre, de gouvernement. En une dizaine d’années, on a dû avoir autant de ministres et de hauts responsables que le pays compte de candidats au suicide. Il ne s’agit évidemment pas des mêmes individus, parce qu’on ne se suicide pas d’avoir truandé le contribuable. Le dernier en date des chefs de gouvernement, Mechichi, a même amené l’exercice à saturation en limogeant à tout va, soit pour prendre la place du partant, soit pour placer des affidés appelés à surtout ne rien faire.
Et maintenant ? Les moins critiques de l’action de Saïed en appellent à une feuille de route claire. En gros, il a raison et il était grand temps de prendre une initiative de sauvetage, encore fautil clairement montrer son intention de remettre les cartes en jeu.