La crise économique due à la pandémie n’est pas sans élever des barrières sur les Routes de la Soie.
2020 sera l’année d’un arrêt de la croissance mondiale inédit depuis près d’un siècle et d’incertitudes sur le monde à venir. Certes, la Chine, première touchée et première sortie, retrouve un regain de croissance satisfaisant.
En effet, les dernières projections du FMI lui donnent une croissance cumulée pour 2020-2021 de 10 % contre une baisse légèrement supérieure à 1 % pour les États-Unis, à 2 % pour la zone Euro, à 3 % pour l’Inde. Comme diraient les analystes financiers, elle superforme. La seconde vague de la Covid-19 pourrait creuser davantage l’écart.
Rien ne sera plus comme avant
Convalescence et rétablissement rapides ne devraient pas conduire Pékin à se comporter comme si rien ne s’était passé. Il lui faut tirer les leçons de ces derniers mois et de l’attitude agressive des États-Unis, capables d’entraîner volens nolens Européens et certains pays asiatiques dans son entreprise d’endiguement voire de refoulement de la Chine.
Le prochain plan quinquennal (2021-2025), qui sera soumis au Parlement chinois au printemps prochain, éclairera sur les choix du Président XI Jinping. Le Plénum du PPC qui vient de s’achever est resté vague sur son contenu. Le communiqué appelle à la « construction d’un système économique moderne » et à l’accélération « du nouveau modèle de développement de circulation duale » .
Derrière ce qui peut paraître comme des slogans, des lignes directrices se dessinent
Dans les discours, l’infléchissement est sensible. La demande extérieure est source de croissance mais aussi de dépendance. La relation avec l’étranger reste considérée comme « gagnant-gagnant », l’approche ouverte, mais la Chine doit faire valoir qu’elle est un « grand marché » pour améliorer ses positions de négociation. Le rapport de forces s’impose.
En mai 2020, le Président chinois a énoncé la théorie de la circulation duale qui s’ajoute à celle de la nouvelle normalité de 2013. L’accent demeure sur la consommation intérieure, notamment celle des ménages, moins sur l’exportation et l’investissement. La transition amorcée avec la nouvelle normalité prend du temps. La consommation intérieure progresse lentement tandis que les outils anti-crise, dépenses d’infrastructures, appui aux entreprises et exportations relèvent du modèle classique de développement.
Plus que jamais, l’innovation est le mot clé. Il doit se traduire par un budget accru en matière de recherche pour sortir de la vassalisation technologique à l’égard des Etats-Unis. Le Plénum affiche des objectifs ambitieux dans le cadre d’une vision 2035, date à laquelle la Chine doit être puissante dans les domaines de la nouvelle industrie, de la numérisation, de l’éducation et des compétences … La réponse à Donald Trump est claire .
Le communiqué du Plénum et la présentation faite dans la presse para-officielle ne font guère état des nouvelles Routes de la Soie. Est-ce à dire que la Chine revient sur le programme phare de Xi Jinping ?
Les Routes de la Soie remises en cause ?
Lancées en 2013, les Routes de la Soie (Belt and Road Initiative) ont été accompagnées d’une couverture médiatique impressionnante et d’une action diplomatique chinoise intense.
A la fin de 2019, pas moins de 130 pays et 30 organisations internationales ont signé des mémorandums de coopération relevant de BRI. Le champ géographique n’a cessé de s’étendre. Les infrastructures de base restent le pivot mais bien d’autres secteurs bénéficient de financements chinois.
Les montants engagés ou décaissés sont difficilement estimables, mais en 6 ou 7 ans, le chiffre de 750 milliards de dollars est avancé, soit une centaine de milliards de dollars par an. Ce chiffre est à rapporter aux engagements du groupe de la Banque Mondiale, 77 milliards de dollars en 2019 et 330 ces cinq dernières années. Les montants sont donc considérables mais, selon certains experts, le pic a été atteint et la réduction amorcée pour de multiples raisons.
La Chine est devenue en Afrique un investisseur direct de premier rang avec un stock d’investissements directs étrangers en croissance alors que les pays occidentaux, à l’exception des Pays-Bas (mais les investissements sont concentrés dans le secteur de l’énergie et sur 3 pays), ont désinvesti ces dernières années. Il en va de même pour l’Asie en développement où la Chine est le premier investisseur. Si les subventions ne sont pas négligeables, le gros des financements chinois à BRI est apporté sous forme de prêts par quelques institutions bancaires chinoises.
“Lancées en 2013, les Routes de la Soie (Belt and Road Initiative) ont été accompagnées d’une couverture médiatique impressionnante et d’une action diplomatique chinoise intense”
Des tensions avec certains Etats asiatiques ou africains se manifestent. La présence chinoise est dans certains pays un thème de campagne électorale et, en cas de victoire de l’opposition, les projets vont être annulés ou renégociés. Les conditions sont parfois jugées trop léonines, les prêts étant liés avec le recours systématique aux entreprises et à la main d’œuvre chinoise. Les taux des prêts sont parfois plus proches de ceux de prêts commerciaux que concessionnels.
Le projet de grande ligne ferroviaire qui doit traverser le Pakistan (7 milliards) est un exemple de signature retardée et de possibilité d’annulation pour ces raisons. L’action du FMI encadre aussi les capacités d’emprunt de certains Etats en difficulté et donc la possibilité d’emprunter auprès de la Chine.
Bien qu’antérieurs à la crise sanitaire, les défauts de paiements des partenaires de Pékin se sont manifestés au fil des années. Sous l’égide du G20, le report des intérêts a été accordé en début d’année à plus de 70 pays, les plus gros montants concernent les prêts de la Chine. Celle-ci s’est rangée aux règles communes du Club de Paris, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent, même si elle avait consenti des allègements d’échéances. Elle doit respecter une nouvelle discipline multilatérale.
En Chine, certaines voix se font entendre pour que l’effort financier consacré aux projets à l’étranger soit réorienté vers la satisfaction des besoins intérieurs, des poches de pauvreté subsistant à l’intérieur du pays.
Difficultés à l’étranger, priorité aux besoins nationaux, investissements accrus pour parvenir à une plus grande autonomie, impact de la Covid-19, autant d’arguments pour prédire que les Routes de la Soie vont perdre de leur prééminence ?
Des Routes de la Soie toujours d’actualité
S’il existe de bonnes raisons de penser que les Routes de la Soie ne seront plus ce qu’elles ont été, il s’en présente d’autres pour estimer que l’on n’est pas encore au bout du chemin et qu’elles restent d’actualité.
Géopolitiquement, le projet fournit à Pékin un instrument pour créer un cercle d’obligés sinon d’alliés et désamorcer les manœuvres américaines. L’idée d’une « stratégie Indo-Pacifique libre et ouverte » est activement poussée par le Quad [Etats-Unis, Inde, Japon, Australie], soutenue par la Nouvelle-Zélande et la France. Mais ce concept revêt essentiellement un caractère défensif, militaire et non économique. Sous la pression japonaise, le vocabulaire a d’ailleurs évolué pour paraître moins ostensiblement dirigé contre la Chine : stratégie ensuite vision, l’Indo-Pacifique est devenue une expression géographique.
Pour les pays de la région, notamment ceux de l’ASEAN, il s’agit d’abord d’échapper à l’alternative posée par Washington : contre la Chine ou contre les États-Unis. La méfiance voire la défiance à l’encontre de la Chine est grande mais la Chine est économiquement irremplaçable et sert de jeton pour – dans le jeu des grandes puissances – s’attirer les bonnes grâces de l’Occident, et le pousser à renchérir dans son assistance.
A côté de ces arguments diplomatiques, les préoccupations économiques pèsent de tout leur poids. Les projets de BRI fournissent des débouchés à l’industrie chinoise, facilitent l’internationalisation du renminbi, l’adoption de normes et standards voulus par la Chine, contribuent à sécuriser ses sources d’approvisionnement en matières premières.
Autant de motifs qui n’ont pas disparus, bien au contraire avec la politique de découplage, d’isolement menée par Washington.
Des Routes de la Soie renouvelées
Ni abandonnées, ni reconduites à l’identique, les Routes de la Soie doivent s’adapter à la nouvelle donne. Sans perdre leur universalité, se concentrer davantage sur les pays asiatiques, pour renforcer la sécurité de la Chine et contrer les menaces américaines, relayées par New-Delhi.
Même si le calcul économique n’est pas déterminant, dans le choix des projets, ni la volonté de faire tomber les pays bénéficiaires dans le piège de la dette évidente, Pékin portera une attention accrue à la viabilité des projets et à la santé financière de ses débiteurs.
Les impayés ne sont pas très populaires dans une République qui est encore loin d’être une société d’abondance. Améliorer la résilience économique passe par des priorités quant aux produits et services qui la servent et donc à être plus sélective.
L’initiative des Routes de la Soie est un espace où s’affrontent les influences, alors qu’elles devraient être une occasion de coopération au profit des pays en développement et en émergence.
Espoir déraisonnable ?
Probablement. Même avec l’élection de Joe Biden*, de telles perspectives sont difficiles à imaginer tant les préventions, les intérêts en cause semblent s’y opposer. Mais, il n’est pas interdit d’imaginer une approche moins ambitieuse, autour de programmes ou de projets mobilisateurs, pour que les Routes de la Soie renouent avec leur vocation originelle d’échanges et d’enrichissement mutuel.
(*ces lignes sont écrites avant la tenue des élections américaines)