Quelle est la situation de notre cheptel (ovins, bovins, caprins) ? Ou encore celle des éleveurs de bovins de boucherie ? On sait que c’est difficile, mais est-ce une amélioration est possible, après des années de sécheresse ?
Il faut bien l’avouer, les producteurs de lait de vache sont confrontés à des hausses des coûts de production. Lesquelles ont conduit partiellement à des répercussions sur le prix de vente au litre, notamment dans les entreprises de transformation. En conséquence, les troupeaux de vaches laitières ont baissé.
Mnawer Sghairi, directeur de la production animale à l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP), dresse un état des lieux, dans une déclaration exclusive à leconomistemaghrebin.com.
Il rappelle que la hausse des coûts de production est principalement liée à l’alimentation animale. Il convient de noter à cet égard que 60 à 70% de l’alimentation animale proviennent de l’importation. Toutefois, malgré les aléas liés à la guerre russo-ukrainienne, à la COVID et aux tensions géopolitiques régionales, nous assistons à une pénurie de fourrages et une flambée des prix mondiaux.
Cependant, malgré la résilience des éleveurs, le nombre du cheptel est en chute. Comme l’a annoncé récemment le ministre de l’Agriculture à l’ARP. En effet, il a fait état de la perte de 20 % de bovins et d’ovins. Une réalité qui en dit long. Car d’après Mnawer Sghairi, sans recensement agricole depuis 2004-2005 (comme pour la population tous les 10 ans), on se fie à des estimations ministérielles basées sur des indicateurs. A savoir, la hausse des prix de la viande rouge et la disponibilité réduite du lait, environ 340 000 à 350 000 bovins. Cela s’explique par l’absence de données fiables et des discours contradictoires laissant planer le doute. Or, il estime que seul l’État peut digitaliser un recensement exhaustif, peut-être via l’Institut national de la statistique. Mais cela exige des moyens massifs.
Défis structurels : un déficit fourrager insurmontable
À cet effet, Mnawer Sghairi a fait savoir que le dilemme revient aux ressources fourragères.
Il est à rappeler que la ration de base repose sur des aliments verts (ou conservés : foin) et résidus agricoles (pailles, fanes de tomates, olives) accompagné par un déficit structurel qui varie entre 15 et 25 % depuis 2005. Tout en soulignant que les zones fourragères se limitent au nord; tandis que 60 % des ovins sont au centre-sud (aride) et 35 % des bovins y pâturent aussi.
Résultat de cette course : une dépendance aux aliments concentrés (maïs 100 % importé en cargaisons de 100 000 tonnes; orge à 300 000 tonnes/an mais consommé en 3-4 mois à 95 000 tonnes/mois; soja pour protéines entièrement importé). Ces concentrés servent aussi aux volailles et monogastriques, saturant le marché.
Au delà d’un état des lieux et les problématiques posées, la question que tout le monde se pose est alors : quelles sont les solutions prioritaires ?A cette interrogation, il insiste sur l’importance de quatre axes.
Le premier axe comprend l’importance d’instaurer d’autres cultures fourragères et alternatives locales, comme celles de promouvoir la luzerne, l’orge fourragère et par dessus tout d’instaurer la culture du colza. Ce qui permettrait, à ses dires, d’enrichir les sols. Cela nous amène à une réduction de 60 % de l’huile végétale et aux alentours de 40-50% de tourteaux de soja possible sur 150 000 ha de colza, soit 14-15 % des surfaces dédiées aux céréales, sans empiéter sur le blé. D’où la Fin de la monoculture qui épuise les terres !
Le deuxième axe inclut l’achat de machines polyvalentes (moisson, ensilage, emballage en balles transportables vers le centre-Sud).
Le troisième axe tourne autour de la santé et de la génétique. Mnawer Sghairi insiste sur les contrôles renforcés aux frontières ouvertes (500 km ouest, 1 000 km est avec Libye). A l’instar de l’identification massive, des programmes sanitaires avec des vétérinaires et des brochures. Il en va de même de la vaccination face aux maladies climatiques émergentes (comme la dermatose nodulaire en France).
Et enfin, il lance un appel au renforcement des groupements professionnels adaptés au terrain. Il insiste sur la valorisation locale : le lait de chèvre et vache laitière au centre-Sud plutôt que tout acheminer vers les laiteries du Nord. De même que sur l’augmentation de la valeur ajoutée sur place.
En somme, il conclut : « Ces mesures exigent une vision globale de l’élevage. Prenons un exemple. Vous savez qu’entre 30-32% du budget de l’UE finance principalement l’agriculture. Alors que chez nous, les ressources publiques sont diluées ailleurs. Ce qui fait qu’avec des petits exploitants, impossible de concurrencer sans soutien massif. En d’autres termes, l’agriculture fixe les ruraux, évite l’exode vers les villes. Il est grand temps de rendre le cheptel attractif et durable. »