Croissance économique, encore et toujours ! On craignait le pire. Dieu merci, le pire ne s’est pas produit, mais l’incertitude et l’inquiétude demeurent. La loi de finances 2025 nous prédisait, en début d’année, un taux de croissance de 3,2%. On pressentait dès le départ que ces prévisions seraient revues à la baisse. L’état de santé de l’économie nationale, quasiment à l’agonie, frappée d’un mal endémique, ne permet pas une telle « prouesse ».
Pourtant, en d’autres temps, pas si loin- tains, 3,2% de croissance relevait plus de l’échec que de l’exploit. D’une année à l’autre, les prévisions de cette nature se répètent et se révèlent au final très décalées dans les faits. Moralité : on ne peut tordre le cou à la réalité. Rien, à l’horizon proche ou lointain, ne paraît annoncer une réelle éclaircie. Pour preuve, les toutes récentes données de nos principaux agrégats macroéconomiques sont pour le moins peu rassurantes.
La Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI), pour ne citer que ces deux institutions, viennent de doucher nos espoirs en mettant fin au suspense. La première prévoit 1,9% de croissance pour 2025, son frère jumeau ne fait pas mieux. Il se situe dans les mêmes eaux d’une croissance atone, à peine perceptible, 1,4% pour l’ensemble de l’année.
L’INS n’est pas en reste et ne pousse pas plus haut le curseur de la croissance, qui serait de 1,6% pour le premier trimestre de 2025, en recul par rapport au 4ème trimestre de l’année dernière. Sans donner d’autres indications sur les prévisions annuelles, il n’y a vraiment pas de quoi claironner, à défaut de grain à moudre pour soulager les budgets de l’Etat et des ménages.
Le gouvernement en charge du budget 2025 avait, à tort ou à raison, présumé des forces de l’économie nationale, en dépit des lourds handicaps dont elle ne parvenait pas à se défaire. Il avait une vision pour le moins surannée de la situation et de la conjoncture. Comme si rien ne pouvait altérer les prévisions dans un monde chargé d’aléas. Le choc géopolitique provoqué par la guerre des tarifs douaniers déclenchée par le Président D. Trump n’est pas plus violent et plus dévastateur pour la croissance que les chocs internes à répétition.
La nouvelle réglementation des chèques a largement impacté, de l’aveu même des acteurs économiques, l’activité, déjà en berne. C’est à se demander s’il y a eu au préalable des études d’impact, des simulations chiffrées et des scénarios de croissance probable. La même question peut se poser dans la foulée au sujet de l’amendement du Code du travail, quelque légitime qu’il soit. Il aurait fallu développer à cet effet toute une ingénierie de réformes et une véritable pédagogie des enjeux pour préparer les esprits et éviter que la nouvelle loi ne soit mal perçue par les décideurs économiques. Il est à craindre qu’elle assombrisse davantage les perspectives de croissance, du reste assez faibles. Elle pourrait avoir de graves incidences à terme sur l’investissement, la croissance, et donc la création d’emplois.
Ces chocs à répétition, très rapprochés dans le temps, mettent à mal la dynamique économique, si dynamique il y a. Au moment même où les principaux moteurs de la croissance – investissement, consommation et exportation – sont au plus mal, quasiment à l’arrêt, faute de carburant. Le pays est déjà asphyxié par la dette qui plombe la croissance.
« Le passage par le FMI n’affecte et n’entraine en rien notre autonomie. Il ajoute même à notre crédit dans les marchés financiers et auprès des principaux bailleurs de fonds ».
Les investissements d’avenir, les grands projets structurants sans lesquels il ne peut y avoir de véritable relance de l’économie, sont au point mort, en l’absence de ressources financières qui seraient allouées à cet effet. En économie, comme ailleurs, il n’y a pas de mystère, et moins encore de miracle. Dans l’état désastreux actuel de nos finances publiques, rien de prometteur ne se fera sans de substantiels apports de ressources financières extérieures. Cela n’enlève rien au mérite du pays et à notre attachement à la souveraineté nationale, si l’on sait en faire bon usage et propulser l’économie sur une forte trajectoire de croissance.
Le passage par le FMI n’affecte et n’entraine en rien notre autonomie. Il ajoute même à notre crédit dans les marchés financiers et auprès des principaux bailleurs de fonds. Sans quoi, il serait difficile de retrouver les chemins de la croissance, fût-ce 3,2%, quand la moitié du budget de l’Etat sert à payer les fonctionnaires et à couvrir la quasi-totalité du service de la dette et des dépenses de subventions qui atteignent désormais le double des investissements publics. Il est difficile d’enclencher une dynamique de croissance quand l’essentiel des emprunts extérieurs, obtenus à des conditions hasardeuses et fort coûteuses, sont consacrés au remboursement du service de la dette.
« Le constat est terrifiant ! Très peu de moyens, en comparaison n des dé- penses courantes improductives, sont consacrés à la réforme de l’enseignement, à la recherche en IA pour pouvoir l’intégrer dans les chaines de valeur à fort potentiel de croissance ».
Il faut se rendre à l’évidence, nous n’avons pas pleinement la maîtrise des moyens de redressement économique et social. Les contraintes budgétaires limitent la capacité des dirigeants à mettre en place des politiques publiques et sectorielles à l’effet d’accélérer la modernisation et le redressement de notre économie. Et de construire une croissance durable et souveraine. Et pour cause ! Pas de relance par voie budgétaire, une productivité en chute libre, absence de politique d’offre pour stimuler l’investissement et très peu de signes de débureaucratisation pour libérer la croissance. La pression et l’instabilité fiscales n’ont d’égal que le poids des charges sociales. Il n’en faut pas plus pour inhiber les rares velléités d’investissement.
L’effet dissuasif des taux d’intérêt fait le reste. Le constat est terrifiant ! Très peu de moyens, en comparaison n des dé- penses courantes improductives, sont consacrés à la réforme de l’enseignement, à la recherche en IA pour pouvoir l’intégrer dans les chaines de valeur à fort potentiel de croissance. Il faut, certes, des moyens financiers conséquents, des choix d’avenir judicieux. Mais il faut aussi et surtout la volonté d’agir avec détermination pour briser définitivement le cercle vicieux de la récession, de la dépression économique et sociale. Osons pour cela le changement et la rupture fondés sur l’innovation et la responsabilité ! Osons les technologies émergentes, IA en tête, pour réformer, renforcer nos capacités à innover, à décider plus vite et à mieux anticiper !
Autrement, aucun autre modèle de développement ne nous sortira de l’ornière.
L’edito est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n 920 du 21 mai au 4 juin 2025