On sait depuis toujours que la réalité a la peau beaucoup plus dure que toutes les fictions. Les administrations chargées des équilibres financiers généraux le savent très bien, et il ne suffit pas de préparer les meilleures formules pour redonner du jus à l’entreprise nationale. La difficile relance de l’économie biaise les meilleurs calculs et additionne les déceptions. Pourtant, nous dit-on, les récoltes sont plutôt bonnes et le tourisme reprend des couleurs. On nous dit aussi que dans la lutte contre la fraude fiscale, les caisses de l’Etat sont copieusement renflouées.
Paradoxe ? Selon le plus haut responsable de l’Etat, si l’édifice peine à être construit, c’est la faute à certains fonctionnaires qui bloquent le bon fonctionnement de l’administration dans l’objectif de servir des lobbys au lieu de servir l’État et le peuple. Ce n’est rien que ça. Cela dit, et pour une fois, on ne va pas chercher la petite bête. C’est qu’au fin fond de chacun d’entre nous, on a tous cette certitude que l’administration tunisienne est, quelque part, l’une des plaies dont souffre le pays. On est, presque tous, d’accord pour dire qu’il y a quelque chose de bizarre dans le fait d’obliger un élève à s’inscrire sur la plateforme numérique du ministère de l’Education pour lui demander, après, d’imprimer le reçu et de le ramener à qui de droit dans son établissement scolaire qui va, une fois le papier en main, consulter la plateforme pour vérifier que le papier est vrai. Honnêtement, il faut le faire, et on l’a fait. Et ce n’est là qu’un exemple parmi des centaines d’autres.
Maintenant et au-delà des bonnes intentions et des discours mettant en cause les comploteurs et les empêcheurs de tourner en rond, on peut toujours se demander pourquoi aucune des initiatives pour réformer l’administration tunisienne n’a, jusqu’à ce jour, abouti. Est-ce la volonté qui manque ou est-ce plutôt la machine en elle-même qui s’est grippée ? Et on use là d’un euphémisme gentil. Doux, eu égard à toutes ces études faites et qui ont montré l’étendue des dégâts dans l’administration. Une façon de faire devenue un système efficace et efficient. L’Etat a beau être vertueux, quand il l’est, les réseaux tissés dans les méandres des couloirs de l’administration ont montré qu’ils résistaient à toutes les levées de boucliers. Il faut dire aussi que la législation, notamment l’article 96, n’aide pas vraiment à la reprise en main, ni à saisir la main tendue d’un exécutif qui ne sait plus sur quel pied danser, surtout lorsque ce sont précisément ses fonctionnaires, accusés de tous les maux, qui mènent la danse. Suivant le pas, ça ne sera plus le cas, menace l’exécutif depuis quelque temps. On ne parle même plus de réforme, mais de balayage. Qu’ à cela ne tienne, sauf qu’on a l’impression de connaître la chanson.
Un air de déjà écouté, comme ce cri de détresse lancé par le directeur régional de la Santé à Kasserine après l’attaque que vient de subir le service des urgences de l’hôpital universitaire. Quelque 500 mille dinars d’équipements volés en éclats, vandalisés par un groupe de personnes exprimant leur colère après le décès d’un jeune homme dans un accident de la route. On a beau chercher le rapport, on n’a rien trouvé. Cela ne rime à rien, à moins de penser qu’on pouvait ranimer les morts et que les urgentistes en question refusaient de le faire.
C’est de la fiction, sauf que dans ce cas, comme dans tant d’autres, la réalité rattrape la fiction construite à la va-vite. Ce qu’on ne dit pas, c’est que dans le secteur de la Santé, l’ivresse de la fuite en avant aidant, les hôpitaux se délabrent faute de moyens et les médecins quittent le pays faute de reconnaissance. Tout cela pour dire que la logique de l’Etat-providence doit manifestement être revisitée, soit dit par euphémisme.
Le mot de la fin est disponible dans le mag n 923 du 2 au 16 juillet 2025