La tension politique est à son paroxysme entre la France et l’Algérie. L’hypothèse d’une rupture diplomatique n’est plus à exclure du côté d’Alger, tandis qu’à Paris, le gouvernement assume le bras de fer lancé sur la question de l’immigration irrégulière.
Il est vrai que les Algériens représentent le plus important contingent d’illégaux en France et que les autorités algériennes tendent à refuser l’accueil de leurs ressortissants expulsés.
Derrière l’enjeu migratoire, la crise a été déclenchée par l’alignement de la France sur la position du Maroc au sujet de la question du Sahara occidental. Un casus belli pour Alger. Il n’empêche, derrière la bataille diplomatique, la crise a pris une dimension de politique intérieure des deux côtés de la Méditerranée : Alger fustige le comportement agressif de l’ancienne puissance coloniale, tandis qu’en France le refoulé colonial a ressurgi avec force (le Premier ministre Bayrou annonce un débat sur « l’identité nationale »). Il est vrai que la République vit avec les fantômes de la République coloniale d’hier.
Le passé colonial de la République française
Si la colonisation de l’Algérie a été lancée avant l’avènement de la République en France, une fois consacrée celle-ci n’a pas remis en cause les conquêtes obtenues par la violence et dans l’injustice. C’est sous la IIIème République que l’extension de l’empire français a atteint son apogée. Cette « République coloniale » est animée d’un esprit messianique et d’une ambition civilisatrice. Pis, il y a une intrication entre la pensée raciale des scientifiques de la fin du XIXᵉ siècle et l’idéologie républicano-coloniale de l’époque.
À la fin du XIXᵉ siècle, le républicanisme se conjugue, dans la figure tutélaire que représente Jules Ferry, avec le racialisme et le colonialisme : « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures […] parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures ».
Si, au sein même de la représentation nationale, Georges Clémenceau a su opposer et incarner un autre discours républicain, humaniste et universaliste, d’autres figures nationales-républicaines y ont pleinement adhéré. L’illustre Victor Hugo cède ainsi à la binarité et à tentation de l’exploitation de l’homme par l’homme : « ce n’est certes pas pour rien que la Méditerranée a sur l’un de ses bords le vieil univers et sur l’autre l’univers ignoré, c’est-à-dire d’un côté toute la civilisation et de l’autre toute la barbarie […]. Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l’industrie ; non pour la conquête, mais pour la fraternité. Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et, du même coup, résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. Allez, faites ! Faites des routes, faites des ports, faites des villes ; croissez, cultivez, colonisez, multipliez ».
République et nationalité
C’est cette même République coloniale qui a fabriqué la notion de la nationalité, qui a créé véritablement l’opposition entre « Français » et « étrangers », qui a créé le statut d’indigènes, individus déjà réputés « inassimilables » ou par culture, source de menace pour l’identité « nationale-raciale ». C’est elle qui instaure une racialisation de l’identité des personnes et distingue la nationalité de la citoyenneté…
La guerre d’Algérie, cette guerre longtemps étouffée par le déni national et menée à l’encontre de l’esprit de la Résistance, emportera le régime de l’Après-guerre pour consacrer une nouvelle République dont la Constitution est présentée par son Père fondateur, le Général de Gaulle, Place de la République, le 4 septembre 1958. Le nouveau régime a eu la responsabilité historique de clore le chapitre colonial de l’histoire de la République.
Il n’empêche, un inconscient colonial continue de nourrir un regard et des préjugés sur les descendants d’anciens territoires (perdus) de la République, des individus et citoyens encore identifiés comme “enfants d’immigrés“ – condamnés qu’ils sont à une perpétuelle réassignation identitaire ou d’intégration bien que nationaux depuis deux ou trois générations. Les « Français d’origine » et autres binationaux sont au cœur d’une République saisie par la question identitaire.
Alors que chaque année, près de 30 000 enfants nés en France de parents étrangers deviennent français à leur majorité, le « droit du sol » est contesté par certaines forces politiques. Considérant qu’il s’agit de l’une des causes de l’immigration, les partis de droite et d’extrême droite proposent de remettre en cause le principe général du droit du sol ou du moins d’en durcir ses conditions, et de faire prévaloir la filiation (le « droit du sang ») pour l’accès à la nationalité française.