Deux déclarations postées sur les réseaux sociaux par le sénateur républicain américain, Joe Wilson, ont secoué la blogosphère tunisienne, tant il s’attaque d’une façon inouïe au président Kaïs Saïed, allant jusqu’à demander au nouveau secrétaire d’État américain de supprimer « l’aide financière » à notre pays.
Les insultes qu’il a proférées à l’encontre du président de la République sont non seulement indignes d’un homme politique, sénateur de son état, mais elles portent atteinte aux relations tuniso-américaines qui durent depuis le 18ème siècle, et ce sont les officiels américains, dont les ambassadeurs successifs des USA chez nous, qui ne cessent de le rappeler.
Des alliés stratégiques
Rappelons à ce monsieur qui, à l’évidence, est ignare quant à sa connaissance de l’histoire et de la vraie stratégie américaine dans la région Afrique et particulièrement à l’égard de la Tunisie, que notre pays est un allié majeur non membre de l’OTAN (déclaration écrite signée par le président des USA, Barack Obama, le 10 juillet 2015 et publiée) et que des accords militaires lient nos deux pays.
Depuis, aussi bien le Pentagone que le commandement de l’Africom ne cessent de multiplier les visites de travail pour renforcer cette coopération.
Ces mêmes officiels ont déclaré à plusieurs reprises que la Tunisie a un rôle à jouer pour assurer la sécurité et la stabilité en Afrique. A l’évidence, notre sénateur ignore tout ça. Bien sûr, si la Tunisie a été choisie pour ce rôle, ce n’est pas pour les beaux yeux des Tunisiens, mais parce que les intérêts des USA l’exigent.
Appeler à déstabiliser notre pays est non seulement indigne d’un homme politique américain, mais c’est aussi ouvrir la boîte de Pandore, d’autant plus que notre voisin du sud, en plus de la guerre civile qu’il vit, subit actuellement les pressions de l’avancée russe sur son territoire est et sud, au moment où les USA renforcent leur présence dans la partie ouest, à quelques encablures de notre frontière.
Sans parler du retrait des militaires des bases françaises d’Afrique, probablement pour les remplacer par des militaires pro-russes. La myopie de ce sénateur est accablante et désespérante.
C’est vrai que Trump vient d’ordonner, par décret, l’arrêt de toutes les aides financières des USA, excepté pour Israël et l’Égypte. Cela risque certainement de perturber l’aide que l’Amérique, au moins depuis 2011, fournit à la Tunisie, particulièrement sous forme d’assistance militaire ou d’achat d’armes, qui proviennent des mêmes USA. Mais il reste très peu probable que cette assistance s’arrête.
Rappelons que jusqu’à 2011, l’aide militaire ne dépassait pas 150 millions de dollars. Mais suite à la déstabilisation générale provoquée par « le printemps arabe », initié et financé par les Américains, la Libye a éclaté et a été divisée en deux États qui, par ailleurs, sous-traitent leur influence à des milices tribales armées.
Le territoire libyen pullule de groupes terroristes. An cas où cette assistance est stoppée ou gelée, la Tunisie serait libre de tout engagement. Mais il semble clair qu’on n’arrivera jamais à cette situation, car les mesures actuelles prises par l’administration américaine visent 85 pays. Et ce sont des mesures ponctuelles dues à la nouvelle politique de Donald Trump, qui finiront par être dépassées.
Un lobbying anti-tunisien permanent
Le sénateur Joe Wilson n’est que le président de la sous-commission chargée des Affaires du Moyen Orient, de l’Afrique du Nord et de l’Asie centrale au Sénat américain. Il ne représente donc pas l’administration américaine ni le Sénat. Il est surtout connu pour son soutien inconditionnel à l’État sioniste, et particulièrement au Premier ministre israélien Netanyahu. Il a soutenu le génocide des Palestiniens de Gaza commis par Israël et figure en bonne place dans le lobby sioniste aux USA, dont l’AIPAC est le fer de lance.
Il n’est donc pas impossible que ce lobby agisse contre les intérêts de la Tunisie, et dans ce cas de figure, contre les intérêts des USA. N’a-t-il pas traité le tribunal de La Haye, qui a condamné le criminel israélien et son ministre des Armées et lancé contre eux des mandats d’arrêt internationaux, d’antisémite ?
Il ne faut donc pas écarter la thèse que le lobby sioniste américain soit derrière les déclarations contre notre pays pour obéir à la stratégie israélienne. Quand on sait que ce défenseur des pires génocidaires du 21ème siècle et des pires criminels de guerre condamnés par la Cour international de La Haye nous donne des leçons de démocratie, cela fait rire, tant ces concepts sont utilisés et instrumentalisés par les pires fascistes.
Mais la Tunisie a déjà connu, avant même l’arrivée du président Kaïs Saïed, des tentatives d’interférence dans ses affaires intérieures par des lobbys politiques aussi bien au Congrès américain qu’au Parlement européen, notamment sous Ben Ali, mais aussi après 2011.
Avant 2011, notre pays avait engagé un lobbyiste américain, l’ex-ambassadeur US chez nous, Pelletreau Jr, pour contrer les lobbys anti-tunisiens. Mais un autre facteur est venu s’ajouter aux traditionnels lobbys anti-tunisiens. Il s’agit de la présence d’un lobbying payé et dirigé par les islamistes d’Ennahdha. Rached Ghannouchi lui-même a été jugé et condamné pour cela. Il est possible qu’ils aient repris leurs activités, qui nuisent d’ailleurs plus à la Tunisie qu’à la personne du président de la République tunisienne.
Encourager l’intervention étrangère dans nos affaires intérieures, surtout celles qui ont trait à la justice et à la souveraineté, souvent sous couvert de défense des droits de l’Homme, n’est en rien un acte patriotique et encore moins démocratique. Surtout quand le prétendu défenseur n’est animé que par des considérations sionistes.
La vigilance s’impose
Il est encore trop tôt pour prétendre connaître la nouvelle politique du président Trump concernant les pays du Sud, et notamment du Maghreb. Ce qui est sûr, c’est qu’elle ne ressemblera en rien à la politique de ses prédécesseurs démocrates et que le slogan « l’Amérique d’abord » qu’il commence à concrétiser aux dépens de ses propres alliés européens n’accorde aucun intérêt aux considérations de politique intérieure des États, notamment aux questions de démocratie et de droits de l’Homme.
Aux démocrates et défenseurs des droits de l’Homme de ces pays de compter sur leur propre peuple et d’arrêter de mendier l’intervention étrangère, quelle qu’elle soit. Les Européens suivront sans doute les Américains sur ces dossiers.
Toutefois, le lobbying anti-tunisien ne s’arrêtera pas, car c’est une partie intrinsèque du système politique américain. Même si l’administration Trump semble plus se préoccuper des sous que des valeurs idéologiques, le lobbying se fera davantage en direction des médias, qui jouent un rôle déterminant dans la fabrication de l’opinion publique.
La Tunisie gagnera à réactiver ses réseaux amis aussi bien aux USA qu’en Europe, via nos ambassades plutôt que via les médias. Et ce n’est pas pour faire l’éloge de nos gouvernements, mais pour rétablir l’image d’une Tunisie ouverte, tolérante et stable. Plus que jamais, nous avons besoin de réhabiliter notre pays pour qu’il reprenne sa place sur la scène mondiale. Nous avons besoin de construire une véritable stratégie dans ce sens. Il y va de notre intérêt à tous.