Ancien vice-président de l’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE), Walid Belhaj Amor, expert en développement économique, va décortiquer avec nous le nouveau texte de loi sur les chèques. Pour lui, la problématique va beaucoup plus loin qu’un texte juridique. C’est quelque part la même réflexion qu’il porte sur la question de l’abandon de la sous-traitance et des contrats à durée déterminée. Selon l’expert en développement économique, pour relancer l’économie, il faut aller plus loin. Il faut mettre en place une politique de rupture pour conduire une vraie transformation du pays
Que pensez-vous de la nouvelle législation sur les chèques ?
Cette réforme a été abordée sous l’angle judiciaire et pénal, alors qu’il s’agit de dispositions entrant dans le cadre du Code de commerce, donc d’un texte à portée économique avant tout. La problématique relative au traitement judiciaire et pénal des chèques sans provisions est fortement exagérée, puisque les chiffres montrent que si les chèques représentent 52% du total des transactions financières télé-compensées, ceux sans provisions ne représentent que 1,2% environ de ce même total. Sans compter que de nombreuses affaires concernent des opérateurs économiques qui ont subi les conséquences de la crise, voire certains qui souffrent d’impayés de l’Etat qui les ont conduits à des difficultés pour honorer leurs engagements vis-à-vis de leurs fournisseurs, avec un effet boule de neige. Il me semble que ce projet a été conduit avec beaucoup de précipitation, sans large consultation et sans mesures d’ac- compagnement. Je suis contre la privation de liberté dans la majorité des affaires financières autres que l’escroquerie, mais la réforme a ses règles et principes et surtout elle ne doit pas être menée à n’importe quel prix, sans en mesurer au préalable les impacts économiques et sociaux.
Encore une fois, on se focalise sur le contenu d’une réforme au détriment du processus de sa mise en œuvre, et l’expérience montre que c’est le plus souvent là que réside l’échec des poli- tiques publiques.
Est-ce qu’elle va impacter les échanges économiques, sachant que le chèque a été plus un moyen de garantie et de crédit qu’un moyen de paiement ?
Malgré le fait que le chèque est un moyen de paiement à vue, la situation économique a imposé aux ménages et petits opérateurs son utilisation comme moyen de crédit. Les impacts sur les échanges économiques vont être à portée multiple et certains n’ont pas tardé à se manifester. A commencer par le refus de nombreux commerçants d’accepter les chèques avant même l’entrée en vigueur des nouveaux articles du code.
Dans une économie essentiellement tirée par la consommation, il est paradoxal de mettre en œuvre une telle réforme, qui va nécessairement réduire la consommation des ménages tunisiens et donc affecter la croissance. La mesure de cet impact économique aurait dû précéder la décision de mise en application. Cela aurait permis d’évaluer objectivement la réforme et peut-être d’engager une réflexion plus large sur le traitement des conséquences. Je crains par ailleurs que cette réforme ne renforce in fine l’utilisation du cash, avec une tentation plus grande pour l’informel et la fraude fiscale. Je serais bien incapable de chiffrer cet impact, mais il va vite apparaître à la lumière de l’augmentation de la masse monétaire en circulation dans le pays.
Extrait de l’interview qui est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n 912 du 29 janvier au 12 février 2025