La stupéfaction est générale. Comment une armée qui a résisté pendant cinq ans en Syrie, de 2011 à 2016, à une insurrection aidée par la Turquie, les Etats-Unis et tous les pays du Golfe, s’effondre en moins d’une semaine, laissant la voie libre aux groupes armées d’atteindre Damas aussi rapidement et aussi facilement?
Les ordres donnés à l’armée de se retirer devant l’avance des groupes armées d’abord d’Alep, ensuite de Hama, puis de Homs et enfin de Damas suscitent un certain nombre de questions auxquelles, du moins pour l’instant, on ne peut répondre que par des conjectures.
Peut-être des accords secrets entre le régime syrien et les architectes étrangers de l’insurrection ont-ils abouti à l’acceptation par Bachar de se retirer et de livrer le pouvoir pacifiquement pour éviter le bain de sang et les destructions qui se profilaient. Ou alors la hiérarchie militaire syrienne a-t-telle cédé à quelques formes de chantage redoutable ou de promesses généreuses et appétissantes de la part de ceux qui tirent les ficelles. A moins que les hauts responsables du régime, Bashar en tête, ayant fait le constat de l’impossibilité pour l’Iran et la Russie de venir à leur secours, (Hezbollah étant fortement affaibli), ont décidé d’eux-mêmes de ne pas se lancer dans une bataille perdue d’avance, d’où la décision de ne pas combattre.
Ce ne sont là que suppositions et conjectures. La vérité mettra peut-être longtemps à se faire connaitre, si jamais elle sera un jour connue.
Cela dit, on ne peut que se réjouir du fait que le peuple syrien a échappé à la guerre civile qui aurait accru gravement ses malheurs. On ne peut que se réjouir aussi que la raison a prévalu dans le sens où une distinction a pu être faite entre le régime qui s’est effondré et l’Etat et ses institutions qui ont été préservés, contrairement à ce qui s’est passé en Irak en 2003 et en Libye 2011.
Il va sans dire que le principal chef d’orchestre de ces événements dramatiques de l’histoire de la Syrie est le président turc Recep Erdogan dont le pays accueille, organise, finance et arme depuis 2011 les groupes islamistes lancés contre le régime de Bashar el Asad.
Ce qu’il faut avoir présent à l’esprit est que les groupes armés que préside Ahmed al Charaa, alias Abou Mohammed al Joulani, en Syrie sont aussi fanatiques et aussi violents que les groupes armés que présidait Abou Bakr al Baghdadi en Irak. D’aucuns se demandent pourquoi alors celui-ci et ses « dawaechs » avaient sévi hier en Irak, alors que celui-là se montre aujourd’hui si raisonnable qu’il donna l’ordre à ses milices terroristes de ne se livrer à aucun acte répréhensible?
La réponse est simple. Abou Bakr al Baghdadi était maitre de ses décisions, d’où le déchainement sanguinaire et les horreurs effroyables commises par Daech à Mossoul en 2014. En Syrie aujourd’hui, Abou Mohammed al Joulani n’est qu’un simple exécutant des ordres et des instructions de ses « employeurs » turcs qui, en concertation avec les puissances occidentales, Washington en tête, se sont imposés comme principaux décideurs de l’avenir de la Syrie.
Nul ne sait, y compris les instigateurs turcs et occidentaux du drame syrien, comment les choses évolueront, ni quelle forme prendra le pouvoir transitionnel à Damas dans l’avenir immédiat et encore moins dans l’avenir lointain.
Cela dit, on peut d’ores et déjà affirmer sans risque d’erreur que le 8 décembre 2024, la Syrie s’est définitivement déconnectée de « l’Axe de résistance » et s’est arrimée au pôle occidental. Il va sans dire que les deux principaux piliers de ce pôle au Moyen-Orient sont la Turquie et Israël.
Par conséquent, les principaux gagnants du changement radical en Syrie sont Ankara, Tel-Aviv, Washington, Londres, Paris et les autres qui continuent de fêter bruyamment la chute du régime baathiste. Les principaux perdants sont évidemment l’Iran qui perd son principal allié dans la région, et la Russie qui ne sait pas encore quel sort sera réservé à son unique base navale en Méditerranée.
Alors que la poussière du séisme politique majeur syrien ne s’est pas encore apaisée, des rumeurs en Occident, sous formes de ballons d’essai, relayées par la presse russe, laissent entendre que la Russie pourrait garder les territoires qu’elle occupe en Ukraine, si elle retirait ses bases de Syrie…
Ce qui se passe en Syrie, en Palestine, au Liban, en Ukraine, en Géorgie, en Roumanie, en Corée du sud et ailleurs, a toutes les caractéristiques d’une machine infernale alimentée par un mélange d’arrogance, d’ignorance et de suffisance des élites gouvernantes de part et d’autre de l’Atlantique. Beaucoup de commentateurs et d’analystes nous préviennent que les convulsions qui secouent différentes zones de la planète ressemblent de plus en plus clairement à des préparatifs de la troisième guerre mondiale.