Le G20 illustre le développement d’une « diplomatie de clubs », dont le format permet des échanges directs entre chefs d’Etat ou de gouvernement. La création du G20 se voulait un signe d’ouverture aux puissances émergentes. Reste que ces sommets demeurent critiqués pour leur « déficit démocratique » (au regard des nouveaux équilibres mondiaux) et pour leur matrice idéologique néolibérale.
Au-delà de leur important écho médiatique, ces sommets demeurent dominés par des puissances occidentales et sont perçus comme des outils de l’hégémonie occidentale dans la gouvernance mondiale. Une perception à l’origine de la volonté de puissances émergentes d’affirmer un agenda et des ambitions propres au sein de cadres internationaux alternatifs incarnés par les sommets des BRICS.
L’Inde est l’hôte du nouveau sommet du G20, qui réunit les plus importantes économies mondiales, soit 85% du PIB mondial. Un sommet que l’Inde préside, en guise de symbole de sa montée en puissance sur la scène internationale. Un nouveau statut qui nourrit les tensions avec l’autre géant asiatique : la Chine.
L’Inde du Premier ministre Narendra Modi s’est engagée dans une politique de puissance. Puissance nucléaire, l’Inde fournit un effort financier continu en matière de défense pour étoffer les moyens de son armée, y compris ses forces navales ; des investissements dans l’appareil militaire rendus possibles par les marges financières importantes résultant de la forte croissance économique (dynamisée par le secteur tertiaire et, spécialement, les services informatiques) ; ses capacités spatiales civiles et militaires attestent la puissance technologique de ce géant du high-tech.
Reste que des fragilités internes pèsent lourdement sur les ambitions de cette puissance émergente : l’augmentation de la population se traduit par une progression rapide du chômage, surtout parmi les jeunes ; l’Inde est l’un des pays les plus exposés aux conséquences du dérèglement climatique (son agriculture en souffre d’autant plus qu’elle reste un pays rural) ; la démocratie indienne, célébrée comme la plus grande du monde, est gagnée par un puissant mouvement nationaliste hindou, dont la xénophobie (antimusulmane) affecte l’image du pays.
Un impact qui ne remet en cause ni son attractivité (économique et géopolitique) pour les puissances occidentales ni le discours (nationaliste) de puissance du Premier ministre Narendra Modi.
La traditionnelle politique de non-alignement post-indépendance a laissé place à une volonté de promouvoir un rôle de pivot, de puissance d’équilibre régionale et internationale qui se traduit par des alliances multiples. Ce positionnement est notamment motivé par une volonté d’échapper à l’hégémonie chinoise et d’exercer un contrepoids à son influence.
Les tensions avec la Chine : l’enjeu du leadership
L’Inde aspire, comme la Chine, au rang de puissance mondiale. Si le récent sommet des BRICS a été dominé par la Chine, l’absence du président chinois Xi Jinping au G20 (fait sans précédent) de New Delhi est significative. Elle met en lumière les tensions entre les deux géants asiatiques, qui revendiquent le leadership du « Sud global ».
La Chine est la deuxième puissance économique mondiale, mais l’économie chinoise marque le pas, tendance qui contraste avec la dynamique indienne. Le pays le plus peuplé du monde, devant désormais la Chine, représente 15% du PIB mondial. Si la Chine domine les sommets des BRICS, l’Inde a l’occasion de s’affirmer lors de ce sommet du G20.
Leur confrontation connaît une dimension territoriale, comme vient de le rappeler la polémique suscitée par la publication de la « carte nationale » de la Chine (version 2023). Celle-ci traduit des velléités expansionnistes de Pékin, y compris au niveau de la plus longue frontière disputée au monde (la Chine et l’Inde partagent près de 3 500 kilomètres de frontières dans l’Himalaya).
Depuis 2020, des accrochages entre des soldats des deux pays les plus peuplés du monde se multiplient le long de leur frontière, une ligne de démarcation (« Line of actual control » – LAC), ou « ligne de contrôle effectif ») non reconnue internationalement, tracée en 1962 après une guerre éclair qui s’est soldée par l’annexion par la Chine d’une grande partie du Ladakh, rebaptisé « Aksai Chin ».
L’Inde se retrouve ainsi avec deux fronts ouverts dans l’Himalaya, l’un avec la Chine, l’autre avec le Pakistan. En effet, le tracé de la frontière demeure contesté également dans la région du Cachemire. L’Inde revendique la souveraineté sur des provinces actuellement sous contrôle pakistanais (l’Azad Cachemire et les Territoires du Nord), tandis que le Pakistan revendique la zone du glacier de Siachen, occupée par l’Inde depuis 1984. La région ne connaît donc qu’une ligne de cessez-le-feu, qui date de la fin de la première guerre indo-pakistanaise (1949).
Malgré les tensions avec la Chine et le rapprochement avec les Etats-Unis, fidèle à sa tradition, l’Inde ne s’aligne pas sur les Etats-Unis. Des velléités d’autonomie au nom d’un rôle de pivot, de puissance d’équilibre qui se traduit par une stratégie de pluri-alignement caractéristique du nouvel ordre mondial, lui-même marqué par la perte d’influence de l’Occident.
Béligh Nabli
Professeur des Universités en droit public à Paris XII