cet égard, Qui doit désormais bénéficier du soutien de la Caisse de compensation ? Une question posée depuis le gouvernement Mzali et la révolte du pain de 1984, lorsqu’une augmentation du prix de la baguette a provoqué la plus grande émeute que l’Etat ait jamais connue. Jusqu’à maintenant, tout le monde en bénéfice ! Les riches, les pauvres, les miséreux, les touristes, les immigrés clandestins et jusqu’à nos voisins limitrophes des frontières sud et ouest.
Les historiens qui se pencheront sur cette période, découvriront que ce n’était pas une simple émeute, qui avait provoqué plusieurs morts, et la chute du gouvernement Mzali, en 1986, mais elle a provoqué aussi la fin du règne du Combattant Suprême et qui a déterminé, ainsi, l’avenir de l’Etat, quatre décennies après, et surtout, le tournant pris par le pays en 2011.
L’effet papillon
La théorie du chaos, invoquée par les stratèges américains pour provoquer le « printemps arabe » et consignée dans des documents officiels de l’administration américaine, peut être résumée en une équation : « Les battements des ailes d’un papillon à Tataouine peuvent provoquer un cyclone qui peut ravager New York ! » L’histoire est pleine de faits similaires, comme celle de l’éventail jeté sur le Consul de France par le Dey d’Alger, qui a officiellement provoqué la colonisation de notre voisin par l’Empire français, au second quart du 19ème siècle et par la suite l’installation du protectorat en 1981 chez nous. L’assassinat de l’empereur d’Autriche par un anarchiste, ou la gifle donnée par un agent municipal de Sidi Bouzid à un Bouazizi, peuvent aussi êtres identifiés comme ces papillons qui déclenchent des tempêtes.
L’effet papillon en 1984, provoqué par la décision du gouvernement de l’époque, décision, imposée par le FMI de supprimer la Caisse de compensation, qui ne coutait alors que 400 milliards de millimes, déclencha un cataclysme social, économique et politique dont les conséquences sont loin d’êtres terminées. Tout cela pour dire que le Président de la République a parfaitement raison de rappeler à son interlocuteur, le Président de la République Française, les effets dévastateurs de telles décisions prises par le FMI, dans plusieurs pays du monde dont la Tunisie et l’Egypte !
Mais là où ses propos doivent êtres nuancés, c’est lorsqu’il invoque « l’Etat Social » ! Car celui-ci ne se confond pas forcément avec l’Etat-providence. Avant même la création de cette caisse, l’Etat tunisien était un Etat social, et non socialiste, même en pleine période socialisante dite de coopérativisme. Car ce fût le choix de ses fondateurs et il n’y a pour s’en convaincre que de réécouter les discours du Combattant Suprême ! Lorsqu’il s’adressait aux femmes et aux familles pour faire baisser la natalité, parfois en termes crus. Mais en créant le planning familial qui encourageait et prenait totalement en charge l’avortement et la ligature des trompes. En cela on reconnait l’Etat Social ! Lorsqu’il consacrait 30 % du budget de l’Etat à l’éducation et construisait des écoles dans les douars les plus reculés. Tout en prenant en charge même la nourriture des élèves, leur habillement et leur internat, c’est indiscutablement l’Etat Social.
Lorsque Bourguiba créa la diplomatie tunisienne sur la base de la non appartenance aux axes de l’époque pour ne pas être obligé d’acheter des armes et alourdir considérablement le budget de l’Etat. A tel point qu’il avait refusé la proposition du Président américain Kennedy qui voulait offrir des armes à la Tunisie et lui avait proposé de les remplacer par du lait et du fromage pour nos écoliers ; c’est encore l’Etat Social.
Bourguiba et ses lieutenants avaient en fait, créé un Etat Social qui ne correspond à aucune idéologie de l’époque, comme le communisme, socialisme, capitalisme, ou l’islamisme. Cet Etat continua d’assumer ce rôle. Puisque jusqu’à 2010, selon des rapports des grands organismes internationaux, plus de 70 % des Tunisiens étaient propriétaires d’un logement. L’après 2011 a détruit graduellement et systématiquement cette œuvre dite de l’Etat Social qui n’est en fait que l’Etat National, comme l’avaient imaginé les pionniers de la Tunisie post-indépendante !
Appauvrir les riches pour enrichir les pauvres ?
Tel est le mythe incarné par le deuxième Calife musulman Omar Ibn El Khattab, et c’est sous le prophète que fût créé beyt mal al muslimin, sorte de trésorerie alimentée par l’argent des conquêtes. Mais la zakat, l’aumône légale était donnée directement par les fidèles riches aux gens qu’eux jugeaient très pauvres et n’a rien à voir avec l’impôt, kharaj. L’on sait que pendant 14 siècles de Califat et de règne absolu de la Charia, l’Etat Social n’a jamais existé en terre d’Islam. C’est un pur produit de la modernité politique et sociale. Et c’est pour cela que l’islam politique, dans sa vision rétrograde du social, y est opposé.
A cet égard, rappelons-nous de la tentative de Rached Ghannouchi d’imposer, via le parlement qu’il contrôlait, une loi sur la zakat. Et c’est aussi sous le règne des islamistes, qu’un de leurs adeptes, président d’une riche municipalité, a créé « une caisse de la zakat » ; sans que l’Etat ne bouge pour l’en empêcher !
L’Etat Social ce n’est pas de forcer les riches à donner, en les rendant moins riches, de l’argents aux pauvres. C’est d’abord encourager les riches et les pauvres à devenir plus riches. C’est le sens qu’on donne actuellement au développement équilibré qui crée d’abord de la richesse avant de la distribuer ! Or l’Etat tunisien ne crée plus de richesses depuis 2011. Puisque le taux de croissance est souvent en baisse, jusqu’à aboutir à la situation actuelle. Il ne peut donc plus être social.
Depuis quelques années les différents technocrates, qui ont présidé aux destinés de notre pays, ne savent qu’emprunter de l’argent à des bailleurs de fonds internationaux ou taxer de plus en plus les salariés. Rien ne démontre jusqu’à nouvel ordre que le pays a changé de cap. Puisqu’on continue de demander au FMI de nous prêter davantage et évidemment à ses conditions. Lesquelles ne peuvent que compliquer la situation économique actuelle et hypothéquer encore plus l’avenir de nos enfants.
Le prix de la souveraineté
La souveraineté a toujours un prix, que les peuples épris de liberté et jaloux de leur souveraineté nationale doivent payer, parfois très cher. Le peuple tunisien en sait quelque chose. En effet, c’est au prix de grands sacrifices, dont les martyrs tombés pour la patrie dans la lutte pour la libération nationale, la bataille de Tazarka, celle de Bizerte et surtout les sacrifices énormes consentis par toutes les couches populaires pour construire une économie nationale et un modèle social conforme à ses idéaux. Le premier article de la Constitution (ainsi que ses différentes copies) résume l’essentiel.
Pour refuser toute injonction qui nous vient du FMI, qui est comme tout bailleur de fonds impitoyable, il faut que le peuple tunisien consente à d’énormes sacrifices, dont presque tous ses acquis sociaux. Cela conduira immanquablement à donner les derniers coups mortels à l’Etat social. Car sans l’argent qui sera prêté par le FMI et d’autres prêteurs (prédateurs), l’Etat non seulement ne pourra plus continuer à subventionner le sucre, l’huile, le blé, l’essence, etc., mais il devra diminuer aussi et drastiquement les budgets de l’enseignement, de la santé, de la culture, de l’infrastructure… Car il n’aurait plus suffisamment les moyens de le faire.
Ce dilemme cornélien est l’aboutissement logique d’un décalage entre la vision politique qui dirige le pays avec ses concepts idéologiques vieux de quarante ans et la réalité crue de la situation désastreuse de l’économie tunisienne.
On ne joue pas indéfiniment avec les mots concepts, sans être rattrapé par la vérité cruelle de la dégradation continuelle du pouvoir d’achat de millions de gens. L’autre réalité cruelle, c’est que ces gens n’accepteront plus aucun sacrifice et le mot d’ordre de « compter sur ses propres forces », de Mao Tsé Toung, ne signifie plus rien pour eux. Alors, attention, il y a danger !
Que le Président de la République s’entretienne avec des professeurs d’Université en Economie, c’est très bien; mais il est évident que la solution est d’un autre ordre. Et elle n’est plus du domaine du savoir, car elle est hautement politique !