Pragmatisme oblige, le mouvement islamiste a tenté un plan A, un plan B et, enfin, un plan C, en fonction des données du moment. Mais si Ennahdha joue aujourd’hui l’apaisement, il ne faudrait cependant pas se tromper quant à l’évolution dans laquelle il compte s’inscrire. Analyse.
« L’Angleterre n’a pas d’amis ou d’ennemis permanents, elle n’a que des intérêts permanents». Ennahdha a, semble-t-il fait sienne cette formule bien britannique. Elle est due du reste à l’ancien Premier ministre de la Couronne, Henry John Temple. Le parti islamiste, qui a bien fréquenté pendant deux décennies la culture politique britannique, du temps où l’ancien président Ben Ali a régné sans partage sur la Tunisie, a peut-être donc puisé aux sources de cette formule de la « Perfide Albion », nom donné par l’écrivain et évêque français Bossuet qui l’aurait employé au XVIIème siècle « pour désigner les rivaux anglais » qui « violaient leur foi ».
En témoigne les réactions du parti islamiste face aux mesures prises par le président Kaïs Saïed le 25 juillet 2021. Celles-ci sont passées par trois étapes qui montrent combien, comme du reste c’est le cas pour les mouvements islamistes, il est possible de pratiquer la chose et son contraire. L’essentiel étant de sauver le mouvement et ses dirigeants et leur assurer une pérennité.
Avant de quitter les lieux avec ses partisans
Tout le monde se souvient de la scène montrant Rached Ghannouchi, aux premières heures du 26 juillet 2021, face aux grilles fermées de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP). Au cours de laquelle il a demandé au peuple de « défendre sa démocratie ». Comme on se souvient de son « sit-in », installé dans sa voiture, en signe de protestation de ce que les Nahdaouis ont qualifié de « coup d’Etat ». Et ce, avant de quitter les lieux avec ses partisans.
Le coup tenté n’ayant pas eu l’écho nécessaire, voilà que le parti Ennahdha met en place le Plan B. Au travers de quelques interviews dans la presse internationale et de quelques articles, dont un signé de la propre main de Rached Ghannouchi, le 30 juillet 2021, au célèbre New-York Times, où il tente de renverser la vapeur en prenant à témoin l’opinion internationale.
Mais aussi en jouant sur la peur. C’est ce qu’il a fait dans une interview au quotidien italien, Corriere della, parue également le 30 juillet 2021. Interview dans laquelle il assure que « si la démocratie n’est pas rétablie très vite en Tunisie, nous allons rapidement sombrer dans le chaos. Le terrorisme peut augmenter, l’instabilité poussera les gens à partir. Il faut prévoir plus de 500.000 migrants tunisiens qui pourraient débarquer chez vous ».
Sans oublier un contrat de lobbying que le mouvement islamiste aurait, selon le site du département américain de la justice, conclu avec l’agence de communication et de relations publiques « Burson Cohn and Wolf », à la date du 29 juillet 2021, à Washington. Information niée par le mouvement islamiste Ennahdha.
Ne pas faire monter la pression
Mais, là aussi, le plan B n’ayant pas fonctionné, le mouvement islamiste change de fusil d’épaule et fait un virage à 180 degrés. En effet, le communiqué publié, le 5 août 2021, par le Conseil de la Choura, joue l’apaisement. Il ose, certes, un soupçon de critique à l’égard des arrestations effectuées après le 25 juillet 2021 et appelle au processus démocratique –interrompu-, mais reconnaît aussi la justesse de la grogne populaire qui s’est manifestée le jour de la célébration du 64ème anniversaire de la République. De même, il fait une autocritique des choix et actions du mouvement et appelle à la nécessité du dialogue avec toutes la parties en présence.
Manifestement le mouvement islamiste a compris qu’il ne servait plus à rien de faire monter la mayonnaise. La rue n’a pas bougé et les réactions aussi bien à l’extérieur et à l’intérieur du pays n’ont pas été au niveau des attentes. Autant ne pas donc faire monter la pression et offrir une image d’une structure politique pacifique.
Il ne faudrait cependant pas se tromper quant à l’évolution dans laquelle Ennahdha compte s’inscrire. Le pragmatisme héréditaire du mouvement islamiste, qui n’est pas à sa première déconvenue, ni à sa première crise, fera sans nulle doute qu’il pratiquera le Wait and see. La réaction s’adaptera à la situation du moment. Comptant sans doute sur des faux pas de la partie en face. Pour rebondir là où on ne l’attendait pas.
Car Ennahdha mesure tous les défis auxquels doit faire face Kaïs Saïed qui sait à quel adversaire il a à faire pour l’avoir « expérimenté » bien longtemps. Le chef de l’Etat a su du reste jusqu’ici contrer les desseins nahdaouis en montant notamment lorsqu’il le faut, jour après jour, au créneau pour gagner l’adhésion de l’opinion nationale et internationale.