Remonter l’histoire de la communication publique et politique en Tunisie n’est pas sans intérêt. A l’ère du régime autocratique de Ben Ali, la communication avait pour but de consacrer le culte de la personnalité, à travers la propagande. Aujourd’hui, la différence est que la personnalisation du pouvoir résiste même à la démocratie.
Les différents dirigeants qui se sont succédé à la tête des institutions de l’Etat, se sont inscrits dans une communication personnifiée et narcissique. Elle les a plongés, incontestablement, dans une sorte d’autisme et d’arrogance. Il suffit de visiter les pages Facebook des ministères pour se rendre compte que la communication est incarnée dans la personne du chef du gouvernement ou du ministre. Et qu’elle se limite à l’information autour des activités de ces derniers. Une fois arrivés au pouvoir, les hommes politiques s’appuient sur une approche communicationnelle électorale, fondée exclusivement sur les promesses et les effets d’annonce.
Cette approche a accentué la crise de confiance entre les citoyens et les hommes politiques. Pourtant, nous ne pouvons pas nier que certains gouvernements ont, un tant soit peu, initié des réformes et réalisé des projets. La difficulté était de mettre en place une stratégie de communication efficace et rassurante, capable de lutter contre la désinformation et de faire connaitre aux citoyens l’action et les politiques publiques conduites par le pouvoir politique en place.
Ce qui a conduit les citoyens à occulter l’action gouvernementale dans son ensemble. Et permis à l’opposition, dans certains cas, d’emporter aisément l’assentiment de l’opinion publique.
Une cacophonie et une incohérence dans la prise de parole
L’absence de stratégie de communication relève d’un problème structurel et décisionnel.
D’abord, parce que les ministères ne disposent pas de directions de communication, excepté le ministère des Affaires étrangères et la présidence du gouvernement. Pour les autres, il s’agit de bureaux de presse dirigés par des équipes formées dans le journalisme et les relations presse. Il existe donc une inadéquation formation-emploi.
Il y a aussi, d’une part un manque de coordination entre les services de communication des différents ministères; et d’autre part, entre la direction de communication de la présidence du gouvernement et les ministères. Les institutions de l’État travaillent d’une manière cloisonnée. Ce qui conduit indéniablement à une cacophonie et une incohérence dans la prise de parole. D’ailleurs, notons que la communication politique en tant que discipline ne s’enseignait pas dans les universités tunisiennes, avant la révolution.
C’est pourquoi nous manquons d’experts dans ce métier. Et même s’ils existent, ils sont souvent confrontés au pouvoir d’influence exercé par les conseillers politiques sur les décideurs.
Une communication maladroite et arrogante
Constat incontestable! La plus grande faiblesse des différents gouvernements demeure la communication de crise.
Nous l’avons bien vu durant les dix dernières années, la gestion de la crise des différents gouvernements était souvent improvisée. A savoir: une lenteur dans la prise de parole, voire un silence troublant; des actions de communication mal organisées; un discours maladroit et arrogant.
Ayant provoqué un tonnerre auprès de l’opinion publique, la crise déclenchée par le décès des 15 nouveau-nés à la maternité de la Rabta à la suite d’une infection nosocomiale, témoigne de la gestion calamiteuse du gouvernement Youssef Chahed. Nous étions face à une tragédie nationale; pourtant, le gouvernement a pris tout son temps pour l’organisation de la conférence de presse, tenue cinq jours après le drame. Une conférence qui se devait d’apaiser la colère des Tunisiens et de consoler les parents endeuillés. Nous étions, cependant, surpris par le discours arrogant et apathique de la ministre intérimaire de la Santé. S’y mêlaient l’agressivité envers les médias et l’opinion publique, les contradictions et règlement de compte politique. Des propos qui ont détonné face aux Tunisiens.
La communication de la crise de la Covid-19 du gouvernement Mechichi était, elle aussi, désastreuse. Face au désarroi des Tunisiens, le gouvernement se contentait de publier des communiqués. Comme celui datant du mois de mars dernier, publié en plein milieu de la nuit et annonçant des mesures restrictives importantes.
Une autre erreur de communication commise par le même gouvernement et pas des moindres: le 14 juillet dernier, les internautes découvrent une image, le moins qu’on puisse dire, impudique. Le chef du gouvernement publie une vidéo sur sa page officielle facebook, jouant au tennis avec Ons Jabeur. Le même jour, plus de 160 Tunisiens étaient emportés par la pandémie.
Outre la mauvaise gestion des crises, la plupart des dirigeants qu’a eus la Tunisie post-révolution n’a pas de vision, ni de projet politique. Dans ses déclarations, Elyes Fakhfekh, le chef du gouvernement, s’est positionné comme un analyste politique et économique. Ses interviews se limitaient à la présentation de diagnostic, sur un ton démoralisateur et démobilisateur. Le discours de transparence est certes apprécié. Mais ce que les citoyens attendent de leurs leaders, c’est des solutions et une vision politique.
Une déconnection de la réalité
Il y a un constat indéniable, nos politiques sont incapables de s’immerger dans la réalité et semblent être déconnectés du peuple. Le problème dépasse de loin la communication. Il s’agit d’une question de fond. En effet, la politique est devenue un métier et une carrière, entretenus à coup d’auto-aveuglement et d’opportunisme. Un opportunisme que même une bonne stratégie de communication est incapable de maquiller à long terme.
N’est pas professionnel de la communication politique et publique qui veut !
Face à la transformation numérique et à l’émergence des réseaux sociaux, où tout le monde devient communicant, et à une opinion publique exigeante et mobilisée, la prise de parole des hommes politiques devient complexe. Et elle nécessite donc une parfaite maitrise des enjeux de réputation et d’image.
Cet environnement mouvant met sous les projecteurs l’importance de la stratégie de communication politique et publique. Les gouvernants doivent apprendre des erreurs de leurs prédécesseurs. Ils doivent savoir que la stratégie de communication fait partie intégrante de la stratégie publique. Sachant qu’une stratégie de communication sans vision est tout autant une menace à leur existence politique qu’un projet politique sans stratégie de communication. Les deux concepts sont imbriqués et complémentaires l’un de l’autre. Cette stratégie de communication doit être pensée par des professionnels du métier de la communication politique. Soit des conseillers en communication politique, dotés d’une force de proposition et d’une capacité de réflexion stratégique. Ils ne sont ni des exécutants, ni des attachés de presse. N’est pas professionnel de la communication politique et publique qui veut !
Une communication réussie dépend donc de trois ingrédients: d’abord la vision de l’action politique; ensuite le choix des conseillers en communication; et enfin… l’aptitude du gouvernant à leur faire confiance.