Divine surprise comme par enchantement : l’évocation en choeur de l’impérieuse nécessité de réformes structurelles, renvoyées depuis la nuit des temps aux calendes grecques. Des voix s’élèvent de partout avec davantage d’insistance jusqu’à signifier de cinglantes menaces, à peine voilées. Nos bailleurs de fonds – FMI et BM en tête – sortent de leur réserve pour s’en prendre publiquement à notre propension à l’immobilisme, au coût financier exorbitant.
Oser les réformes ? Les politiques en parlent à satiété. En vain, à défaut d’oser dire la vérité sur leur véritable intention et sur l’état des lieux d’un pays, dévasté par d’interminables crises politiques.
Trêve d’hypocrisie ! On en rirait des propos et des incantations des dirigeants, si l’état de santé du pays n’était pas à ce point préoccupant. Tous, sans exception ou presque, ont entonné le chant des réformes, ardente obligation, s’il en est. Ils en font leur slogan de campagne. Ils ont su entretenir cette fiction contre toute évidence.
Pures affabulations, ils n’y ont jamais cru, parce qu’ils n’ont pas l’autorité morale, le courage politique et la force de caractère pour délester le pays des boulets qui l’empêchent de progresser. S’ils évoquent en permanence l’impératif de réformes, c’est pour mieux s’abriter derrière les mots qui n’ont plus de résonance.
“Trêve d’hypocrisie ! On en rirait des propos et des incantations des dirigeants, si l’état de santé du pays n’était pas à ce point préoccupant”
Le statu quo triomphe quand le mouvement de réformes est à l’arrêt, pour ne pas s’exposer au courroux des corps constitués et des défenseurs à tout prix des droits acquis, qui n’entendent rien céder de leurs privilèges, au risque de plonger le pays dans le déclin et le chaos. Chaque gouvernement égrène le même chapelet de réformes, les unes aussi prioritaires que les autres. Sans aucun résultat. Simple catalogue à la Prévert, à des fins d’annonce et d’affichage.
À commencer par la réforme de l’État, pour libérer le pays de ses entraves et des tentacules de la corruption. Un voeu pieux, au regard de la complexité des dédales administratifs et du maquis procédural. On ne sait jamais comment y entrer et moins encore comment s’en sortir, sans laisser ses illusions, ses rêves et ses espoirs. La liberté d’entreprendre, mise sous scellés, n’en est pas une, régentée qu’elle est par un État tentaculaire.
Moralité : il y a très peu d’entreprises tunisiennes, parce qu’il s’en crée de moins en moins. Le décrochage industriel, la montée du chômage, l’hémorragie de fuite de cerveaux et de compétences ne s’expliquent pas autrement. Notre capacité de régénérer, de renouveler, d’élargir et de réinventer le socle du capitalisme national est si faible que celui-ci a fini par n’assurer que la reproduction de l’élite qui le domine.
Le goût d’entreprendre des jeunes pousses se fracasse contre les digues bureaucratiques et les exigences bancaires, dont on mesure, année après année, les effets corrosifs sur notre potentiel de croissance.
“Chaque gouvernement égrène le même chapelet de réformes, les unes aussi prioritaires que les autres. Sans aucun résultat.”
La réforme des entreprises publiques ? Elle refait surface aujourd’hui, parce que ces dernières sont en état de mort cérébrale. Tout un déluge d’hypocrisie ! Qui a pour seul effet de lever le voile sur l’inanité de l’État et son incapacité de conduire le changement. Il n’a plus la maîtrise de ses propres entreprises, pourtant à l’agonie, mais qui n’en continuent pas moins à détériorer les finances publiques. Et à défier l’État et les citoyens contribuables, qui s’échinent contre toute logique à les maintenir en vie. Déficits abyssaux, effectif pléthorique, salaires en hausse sans rapport avec la productivité, dont la seule évocation confine à l’hérésie.
Les salariés se nourrissent sur la bête et refusent de se prendre en charge, au risque de provoquer l’effondrement de l’État lui-même. Ils ont pris le pays – qu’ils sont censés servir – en otage et y exercent un chantage d’une redoutable efficacité, sans être jamais rappelés à l’ordre.
Ils obtiennent à chaque fois, par la force de leur mobilisation – le plus souvent en dehors du cadre légal – ce que ne peut leur procurer leur contribution à l’effort national. Le gouvernement se plie à leur injonction et à la tyrannie de grèves sauvages, sans autre considération que celle d’acheter, fut-ce à crédit, la paix sociale.
Problème : ce jeu asymértrique réveille, ranime et excite l’instinct des pyromanes actifs dans toutes les strates de la société. Ils ont le vent en poupe encouragés qu’ils sont par la capitulation de l’Etat en mal de liquidité et virtuellement en défaut. Il n’a plus les moyens pour éteindre les foyers d’incendie qui n’arrêtent pas de se propager. En aurait-il davantage de ressources qu’il fallait s’y prendre autrement.
Résulat des courses : le pays brûle et l’économie part en fumée. De quelle paix sociale peut-on rêver ?