Dans le cadre des « Rencontres de Skifa Kahla » organisées par l’Association dynamique de réflexions économiques à Mahdia « DREAM », Mustapha Kamel Nabli, ancien gouverneur de la Banque centrale de Tunisie et président du Think Tank Nabess, est revenu sur la dépréciation du dinar tunisien.
Ainsi, il a affirmé qu’en général, une autorité de change peut fixer le taux de change, le garantir et le maintenir d’une façon continue, et ce, sous certaines conditions. Par contre, si ces conditions ne sont pas réunies, les conséquences peuvent être catastrophiques.
Par ailleurs, il a précisé que la stabilisation du taux de change d’une monnaie ne doit pas se faire de manière arbitraire : “Il faut adopter des politiques macroéconomiques efficaces afin de pouvoir maîtriser l’inflation, l’endettement et le déficit de la balance des paiements”.
Pour le cas de la Tunisie, M. Nabli a indiqué que ces trois conditions ne sont pas réunies. “La Tunisie connaît, actuellement, une inflation en forte hausse supérieure à 7%, un déficit budgétaire élevé supérieur à 6% et un déficit courant très élevé supérieur à 10%. Contrairement au Maroc, par exemple, qui a réussi à maintenir la stabilité du taux de change de façon à faire en sorte que ces conditions soient réunies et a même décidé à partir de juin 2017 de passer au régime de change flexible parce le régime de change fixe a été un frein à la croissance économique marocaine”, explique-t-il.
En effet, tant que les déséquilibres macroéconomiques persistent en Tunisie, le dinar reste condamné à subir des pressions baissières. Face à cette situation, Mustapha Kamel Nabli a fait savoir que pour remettre le dinar tunisien sur un trend haussier, il ne faut pas opter pour des solutions de facilité ou des «pseudo solutions».
Parmi ces solutions de facilité figure, selon ses dires, l’instauration des bureaux de change privés pour récupérer les devises du marché parallèle. «Cette solution est plus déstabilisante pour la balance commerciale que pour le marché parallèle en devises».
Quant à la solution prévoyant une amnistie de change, il déclare :” C’est une solution de court terme dans la mesure où elle résout le problème de stock de devises mais ce n’est pas une solution efficace pour accroître le flux des devises».
Il a, ainsi, cité la solution d’instaurer des contrôles sur les importations. «Cette solution n’a jamais été très efficace historiquement parce que les importations vont chuter par la voie officielle mais elles vont transiter à travers la contrebande et alimenter, par conséquent, la corruption».
Quelles solutions pour la stabilisation du dinar ?
M.Nabli a précisé qu’aujourd’hui, la stabilisation du taux de change dépend de trois options différentes. La première est de continuer à soutenir le dinar dans un contexte économique marqué par une inflation élevée, un déficit budgétaire très élevé, une dégradation des ratios d’endettement et par un déficit record de la balance des paiements. “C’est le cas de la Tunisie actuellement où le dinar est relativement stable depuis plus de trois mois. Mais si les politiques macroéconomiques ne changent pas, le taux de change du dinar d’aujourd’hui ne peut être soutenable”, a-t-il expliqué.
Et d’ajouter qu’une option pareille n’est pas soutenable parce que les pressions sur le taux de change vont finir par tirer le dinar vers le bas puisque les réserves en devises ne sont plus dans une situation confortable, soit 4,5 milliards de dollars en 2017 contre environ 9 milliards de dollars en 2010.
La deuxième option est de maintenir un taux de change fixe et adopter des politiques appropriées, dont des politiques monétaire et budgétaire restrictives. «Il s’agit d’une option douloureuse parce que ces politiques ont un coût social pas facile à gérer».
La dernière option est, selon M. Nabli, de laisser glisser le dinar car une politique monétaire laxiste et des dérapages budgétaires débouchent certainement sur une forte baisse du dinar. “Cette option poussera le pays dans un cercle vicieux où le dérapage inflationniste exerce des pressions baissières sur le dinar. Ces pressions qui alimentent l’inflation à travers l’inflation importée”.
D’autre part, Mustapha Kamel Nabli a fait remarquer que l’expérience internationale a montré que la dépréciation du dinar aura systématiquement un effet sur la balance commerciale à condition qu’elle soit en termes réels et significatifs. « Certes, en Tunisie l’inflation a augmenté à un rythme proche du rythme de dépréciation du dinar et il n’y a pas eu jusqu’à 2015 de dépréciation en termes réels. Il a fallu attendre les deux dernières années (2017 et 2018) pour observer une nette dépréciation en terme réel ».
Au final, M. Nabli a souligné que la stabilisation du dinar passe par l’assainissement des finances publiques, la baisse du déficit de la balance des paiements et la maîtrise de l’inflation. Toute autre solution – comme l’amnistie de change, l’ouverture de bureaux de change et la limitation des importations – ne serait que contre-productive. «Il faut donc ajuster les différentes composantes des dépenses publiques afin d’éviter une politique monétaire trop restrictive», conclut-il.