Le sport a ses légendes, l’humanité ses héros et mythes. Mohamed Ali incarne la jonction de ces figures immortelles. Décédé à Phoenix (Etats-Unis) à l’âge de 74 ans au terme d’un long combat (de trente-deux années) contre la maladie de Parkinson, cette icône universelle a rayonné au-delà de son art, la boxe, comme en témoigne l’hommage unanime–de Trump à Obama– reçu à l’annonce de sa mort.
Certes, son destin apparaît à la fois grandiose et cruel. Au terme d’une fin de carrière déraisonnable, à peine pris sa retraite sportive, on lui diagnostique (en 1984, à l’âge de 42 ans) la maladie de Parkinson. Même affaibli, il a su garder son aura, celle qui lui permettra aujourd’hui et demain de vivre après sa mort.
Boxeur de génie, activiste et héraut de la fierté noire dans une Amérique ségrégationniste, son aura l’a imposé comme un leader de la lutte pour les droits civiques. Au-delà de ses outrances verbales– il s’auto-proclamait « The Greatest » (le plus grand)–, Mohamed Ali alliait le geste à la parole en matière politique. En atteste la multitude de transgressions qui ont étayé sa vie : ses deux victoires successives contre Liston sont une gifle assénée à l’establishment de la boxe et aux commissions qui demandaient que l’on retire son titre à Ali à cause de son insolence hors du ring; une fois champion du monde (à 22 ans), le jeune Cassius Clay décide de renoncer à son nom d’esclave légué par d’anciens propriétaires blancs et devient Cassius X, puis Mohamed Ali, un nom musulman actant son adhésion à la secte politico-religieuse « Nation of Islam » dirigée par Elijah Muhammad; en 1967, alors au sommet de sa carrière, il achève de s’attirer la haine de l’Amérique blanche en refusant de servir pour la guerre du Vietnam, au motif que sa religion et sa conscience lui interdisent de prendre part à cette guerre symbole de l’impérialisme : «Je n’ai rien contre les Vietcongs. Aucun Vietcong ne m’a traité de nègre…»; défier le champion du monde en titre George Foreman à Kinshasa, au Zaïre, pays du dictateur sanguinaire Mobutu, dans le fameux « Rumble in the Jungle » (« combat dans la jungle »); un combat du siècle qui en annonçait un autre, face à Joe Frazier, qui a lieu à Manille (aux Philippines), alors sous la loi martiale décrétée par un autre dictateur, le président Marcos.
Son influence dépassa les frontières nationales américaines. Le leader de la cause noire est devenu une figure à la fois de l’anti-impérialisme et de la contre-culture. Après avoir été perçu comme un ennemi des Etats-Unis, son pays et l’Occident en général ont reconnu en lui un personnage– sportif, médiatique, culturel et politique– d’une dimension exceptionnelle, hors norme. Mohamed Ali s’est éteint avec le statut d’icône consensuelle et universelle (comme l’atteste l’attribution des plus hautes récompenses nationales et humanitaires, dont celui de messager de la paix pour l’ONU depuis 1998) de l’envergure de Nelson Mandela, un statut qui contraste avec sa radicalité originelle qui en avait fait l’ennemi public n°1 des élites blanches américaines des années 1960. Ironie de l’histoire, Barack Obama, le premier président noir à la tête des Etats-Unis lui a rendu hommage : il a salué l’homme qui a « secoué le monde » et qui « s’est battu pour ce qui était juste ». Avant d’ajouter et de conclure : « Mohamed Ali était ‘The Greatest’. Point final. Si vous lui demandiez, il vous le disait clairement. Mais ce qui faisait de lui le plus grand, c’est que tous les autres vous disaient la même chose. »