Le nouvel ouvrage de Jacques Attali, publié en avril 2016, « 100 jours pour que la France réussisse », est sous titré : « Tout peut changer en 2017 ».
Si j’ai à transposer le sous titrage à notre pays, je dirais plutôt « Tout doit changer en 2017 ». Je ne vise là, ni le régime politique, ni les institutions de l’Etat, ni encore moins les responsables qui le dirigent. Ce vocable « Tout » ne couvrira, dans le cadre de cet article, que le volet économique, avec sa récession continue, ses aléas et sa situation déliquescente marquée par un niveau d’endettement record, des déficits jumeaux inédits et des indicateurs monétaires inquiétants. Ces indicateurs doivent être inversés et c’est là la substruction du changement attendu. Il s’agit là d’une véritable gageure impliquant nécessairement la mise en œuvre d’un plan, capable de faire redémarrer la machine économique.
L’impérative réactivité
Les résultats de l’exécution budgétaire au titre des quatre premiers mois de 2016, tout comme les indicateurs publiés par la BCT ou l’INS concernant notamment le commerce extérieur, font état d’une conjoncture tumultueuse avec une croissance anémique, un chômage persistant et une atonie structurelle de l’offre exportable. Les importations n’ont fléchi qu’au niveau des biens d’équipement en rapport avec la régression des investissements, mais leur volume global rapporté à celui des exportations a affecté le taux de couverture. La détérioration de ce taux, conjuguée avec la baisse des réserves de change, affecte gravement la balance des payements.
Qu’en est-il du profilage économique qui se dessine pour l’année 2017 ?
La situation de 2017 dépendra des mesures de relance ou plutôt de sauvetage qu’il convient de prendre au courant du second semestre de l’année en cours.
Il est vrai qu’aucun plan de relance ne permettra de transformer cette sinistrose en une embellie « économique » mettant le pays dans un sentier de croissance soutenable et durable, mais il est aussi vrai que l’immobilisme et l’inertie conduiront le pays vers la pire crise de son histoire.
Il y a lieu alors de rechercher une solution « médiane » consistant à mettre en œuvre des mesures rapides et concluantes à même d’induire un début de redressement, tout en arrêtant « cette descente aux enfers ».
Face aux dangers qui guettent notre économie, et par là notre souveraineté, la réactivité s’impose! Comment? Sous quelles formes et selon quelles modalités? Sous quels angles?
Les mesures qui permettent à terme de redresser la situation économique pour renouer avec la croissance, réduire les déficits et les taux de chômage et retrouver les niveaux raisonnables des autres indicateurs, ont comme clef de voûte une entreprise :
- Opérant dans un environnement juridique, économique et social sain et favorable;
- Ne vivant ni sous le diktat du syndicat, ni sous les menaces d’un secteur informel ravageur;
- Bien structurée, correctement gouvernée et assumant pleinement ses responsabilités sociales et sociétales;
- Et bien entendu, parfaitement compétitive.
Lorsqu’elle est compétitive, l’entreprise crée plus de richesses (valeur ajoutée); • distribue plus de revenus (consommation); conquiert des marchés étrangers (exportation); procède à des extensions (investissements); embauche plus de personnes (emplois).
De la compétitivité de l’entreprise, dépendent les investissements, le développement, la consommation et in fine, l’embauche et la croissance.
Pour qu’elle soit compétitive, l’entreprise a besoin :
- D’un cadre réglementaire favorable à l’entrepreneuriat et qui encourage l’initiative économique;
- D’un climat social sain et serein et de ressources humaines épanouies, dévouées et convaincues que leur prospérité passe inéluctablement par celle de l’entreprise;
- D’un corpus législatif et réglementaire qui obéit à deux impératifs fondamentaux : la simplification et la stabilisation;
- D’un environnement qui la protège des manœuvres déloyales et des pratiques abusives (fraude fiscale, embauche en noir,…), source d’iniquité et de préjudice.
Cet article se propose de présenter certaines mesures à prendre au plus vite en vue de conjurer la crise et restaurer la confiance. Il s’agit d’une simple réflexion qui ne prétend être ni un plan de relance pour faire sortir le pays de cette impasse économique, ni un abri à cette pluie de mauvais chiffres qui assombrit chaque jour l’horizon économique.
Les mesures proposées dans le cadre de cette réflexion s’articulent autour des trois principaux axes :
Axe n°1 : Affermir l’initiative économique et encadrer le droit de grève;
Axe n°2 : Finaliser et harmoniser les textes à caractère économique;
Axe n°3 : Mettre en place des mesures pressantes de lutte contre la corruption et la fraude fiscale.
Axe n°1 : Affermir l’initiative économique et encadrer le droit de grève
La dimension économique n’a pas été formellement et suffisamment proclamée comme valeur constitutionnelle à même de guider les politiques publiques vers des objectifs de développement assurant croissance, prospérité et bien-être humain.
L’omission de la liberté d’entreprendre, l’absence d’un renvoi à une loi encadrant le droit de grève et d’une instance spécialement dédiée à toutes les questions à caractère économique, constituent autant d’éléments qui expliquent la marginalisation de la dimension économique dans la Constitution de 2014.
A notre avis, la révision de quatre articles de la Constitution et l’ajout d’un article 49 bis, entraineront en aval plus de poids de la dimension économique, ainsi qu’une meilleure orientation de l’action gouvernementale vers les objectifs de développement économique. Les articles à amender (ou à ajouter) sont les suivants :
– L’article 12 : Pour mettre à la charge de l’Etat l’obligation d’œuvrer pour un développement économique et poursuivre les objectifs assurant croissance et prospérité.
– L’article 13 : Pour introduire plus de souplesse dans la gestion et l’exploitation des ressources naturelles et particulièrement les ressources pétrolières, en dotant le pouvoir exécutif de plus de prérogatives pour la conclu-sion et le renouvellement des concessions et des contrats d’exploration et d’exploitation, dans la transparence la plus totale.
– Un article 49 bis relatif à la liberté d’entreprendre, qui est une véritable facette de la liberté du commerce et de l’industrie, reconnue et explicitement prévue par la plupart des Constitutions de pays étrangers (Maroc, Egypte, Algérie, Belgique, Finlande, …).
– L’article 36 : Cet article garantit le droit de grève. Son amendement permettrait un meilleur encadrement de l’exercice de ce droit, en faisant référence à une loi qui définira les modalités et les règles de l’exercice du droit de grève et ce, à l’instar de la plupart des législations étrangères (Allemagne, Maroc, Algérie, Malaisie, Egypte, …).
– L’article 129 : Pour instituer une véritable instance de réflexion, de proposition et de dialogue autour des questions ayant trait à la politique économique et sociale du pays. Il s’agit du Conseil économique et social qui :
- propose des mesures et actions de la politique économique;
- contribue à l’évaluation des politiques publiques;
- assiste le gouvernement dans l’exécution des plans de développement économique.
Axe n° 2 : Finaliser et harmoniser les textes à caractère économique
Certains textes à caractère économique demeurent en souffrance pendant de très longues périodes, d’autres textes souffrent d’incohérence et d’aberrations mani-festes, ce qui est de nature à dégrader l’environnement des affaires et à décourager l’initiative privée. Il convient, à notre avis, de prendre sans délai les mesures suivantes :
1 – Finalisation du Code d’investissement, à travers sa promulgation ainsi que celle de la loi portant incitations fiscales à l’investissement. Il est tout à fait indiqué de disposer d’un texte unique incluant toutes les incitations fiscales et financières.
2 – Refonte du Code des sociétés commerciales. Ce code est un véritable « point noir » du droit des affaires en Tunisie. Les multiples amendements (six depuis sa promulgation) n’ont été que des mesures de bricolage qui n’ont pas pu mettre fin aux contradictions, erreurs de traductions, incohérence…, contenues dans ce texte.
La préparation d’un nouveau code (pour finir avec les bricolages) est aujourd’hui une action nécessaire et urgente.
3 – Promulguer une loi sur l’initiative économique.
Dans ce nouvel environnement politico-économique, la loi relative à l’initiative économique (loi n° 2007-69 du 27 décembre 2007) est aujourd’hui caduque. Une refonte de cette loi est plus que nécessaire; elle permettra d’appuyer davantage la création d’entreprises innovantes, de lancer des passerelles vers l’exercice en entreprise, d’exploiter pleinement les technologies d’information et de communication, …
Axe n° 3 : Mettre en place des mesures pressantes de lutte contre la corruption et la fraude fiscale
La corruption et la fraude fiscale sont deux véritables phénomènes qui gangrènent l’entreprise et menacent son existence même. Parmi les mesures permettant de réduire, un tant soit peu, l’ampleur de ces phénomènes, nous citons les suivantes :
1 – Rétablir les pénalités d’assiette
Prévues par le code de l’IRPP et de l’IS au moment de sa promulgation en 1989, les pénalités d’assiette ont été par la suite supprimées, au bonheur des fraudeurs et sans aucune raison convaincante.
Il est proposé d’emboiter le pas à plusieurs pays étrangers (France, Maroc) et de rétablir les pénalités d’assiette avec des taux de:
– 30%, pour les fraudes caractérisées;
– 10%, pour les autres cas.
2 – Obligation de déclaration des éléments du patrimoine et de train de vie
Pour plus de transparence et la mise en œuvre de mesures adéquates et efficaces de lutte contre la corruption et la fraude, il est proposé de mettre à la charge de tous les fonctionnaires, les professionnels libéraux, les entrepreneurs et les hauts cadres du secteur privé, l’obligation d’établir et de communiquer chaque année :
- Un tableau d’emplois/ressources au titre de l’année;
- Un état du patrimoine et de sa variation (incluant les valeurs, mobiliers, les comptes conjoints, …).
- Un état détaillé des éléments de train de vie.
Pour conclure, nous dirons qu’il est vrai que la situation économique est très critique et difficile, mais il est aussi vrai qu’il n’est pas impossible, pour qu’elle puisse retrouver le bon chemin vers la sortie de la crise et le maintien d’une croissance dans un trend haussier, de se dire : mettons en œuvre les mesures sus-indiquées en chœur. L’adage dit bien : « A cœur vaillant rien d’impossible » .
Cette analyse a été publiée sur les colonnes de l’Economiste Maghrébin n°688 (disponible dans les kiosques)