Pourquoi l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, emprisonné depuis un an en Algérie et au cœur d’une grave crise diplomatique entre Alger et Paris, a-t-il été gracié et envoyé en Allemagne et non en France ? La preuve que la voie diplomatique est souvent plus efficace que la méthode musclée d’un certain Bruno Retailleau.
C’est la fin d’un long cauchemar. L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal est arrivé dans la soirée de mercredi 12 novembre à Berlin. Et ce, après avoir été gracié dans l’après-midi par la présidence algérienne quasiment un an jour pour jour après son arrestation, le 16 novembre 2024. Une libération pour l’essayiste âgé de 81 ans, qui souffre par ailleurs d’un cancer de la prostate. Mais également un échec pour la diplomatie française, notamment un désaveu cinglant de la méthode, chère à M. Retailleau : le bras de fer stérile et improductif avec Alger.
Déclaration choc de Sansal
Pour rappel, l’auteur du roman « 2084 : La fin du monde », dont l’œuvre a été récompensée par de nombreux prix littéraires en France et à l’étranger, était condamné à cinq ans de prison pour « atteinte à l’unité nationale ».
En cause, des propos tenus dans le média d’extrême droite français Frontières, où il déclara le 2 octobre 2024 que « quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcem, Oran et même jusqu’à Mascara. Toute cette région faisait partie du royaume ».
Cette déclaration choc reprise allégrement par les médias marocains, est restée en travers de la gorge des autorités algériennes, dans un contexte de contentieux territorial entre l’Algérie et le Maroc. En effet, certains nostalgiques du Grand Maroc, lorgnent sur cette région de l’ouest de l’Algérie, qu’ils surnomment « le Sahara oriental » et qui, pour eux, revient « de droit » au royaume ancestral du royaume chérifien.
Berlin rafle la mise
A noter également que l’incarcération de l’homme de lettres le 16 novembre 2024 en Algérie, avait envenimé les tensions diplomatiques, déjà exécrables, entre Paris et Alger. Lesquelles étaient déclenchées par la reconnaissance par la France d’un plan d’autonomie sous souveraineté marocaine pour le Sahara occidental.
Ainsi, depuis plus d’un an, Paris et Alger sont empêtrés dans une crise diplomatique sans précédent qui s’est traduite par des expulsions de fonctionnaires de part et d’autre, le rappel des ambassadeurs des deux pays et des restrictions sur les porteurs de visas diplomatiques.
Et c’est finalement la diplomatie allemande qui s’est montrée plus efficace que celle du Quai d’Orsay. En effet, la libération de Sansal est consécutive aux « bonnes relations [entre l’Allemagne et l’Algérie] et d’une « relation personnelle de longue date » entre Abdelmadjid Tebboune et Frank-Walter Steinmeier.
Ce dernier avait demandé lundi 10 novembre que Boualem Sansal, qui purgeait une peine de cinq ans de réclusion, soit gracié et bénéficie de soins en Allemagne « compte tenu de son âge avancé et de son état de santé fragile ».
« J’ai demandé à mon homologue algérien de gracier Boualem Sansal. Un tel geste témoignerait d’un esprit humanitaire et d’une clairvoyance politique. Il refléterait mes relations personnelles de longue date avec le président Tebboune et les bonnes relations qui unissent nos pays », a déclaré le président allemand dans un communiqué.
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune « a répondu favorablement» à une demande de son homologue Frank-Walter Steinmeier, « concernant l’octroi d’une grâce en faveur de Boualem Sansal », lit-on dans un communiqué officiel. « Cette demande a retenu son attention en raison de sa nature et de ses motifs humanitaires », a ajouté la présidence. Tout en précisant que « l’Etat allemand prendra en charge le transfert et le traitement » de l’intéressé.
Relevons à ce propos que l’écrivain franco-algérien avait renoncé à se pourvoir en Cassation. Ce qui le rendait éligible à une grâce du président algérien.
Tebboune avait-il le choix ?
Le président algérien pouvait-il ou avait-il intérêt à refuser la requête allemande ? Difficile pour trois raisons. D’abord, sur le plan personnel, Abdelmajid Tebboune fut soigné en Allemagne où il reçut les meilleurs soins lors de séjours d’un total de trois mois, après avoir contracté la Covid entre fin 2020 et début 2021.
Ensuite, le locataire du palais d’Al Mouradia avait également évoqué en septembre dernier la possibilité de se rendre en Allemagne d’ici le début de l’année 2026. Or cette visite risquerait d’être assombrie par le cas Boualem Sansal. De même, le pape Léon XIV a exprimé son souhait de se rendre notamment à Annaba ou Souk Ahras, car il se considère comme un « fils de Saint-Augustin » originaire de cette région. Des délégations du Vatican ont déjà préparé le terrain pour cette potentielle visite du Saint Siège en Algérie.
Enfin, la libération de ce dissident politique « dans un esprit humanitaire » enlève un caillou dans les chaussures des dirigeants algériens : et s’il décédait en prison vu son âge avancé et sa santé précaire ? Ajoutons à cela l’image de l’Algérie : les autorités veulent démontrer aux uns et aux autres que cette issue diplomatique n’est pas consécutive au bras de fer avec l’ancienne puissance coloniale; mais bien le résultat d’une médiation neutre, celle de l’Allemagne. Ainsi, l’Algérie altière n’aura pas cédé à la pression française, mais à des impératifs d’ordre éthique et humanitaire. Bien joué.