Le rapprochement stratégique entre l’Algérie et l’Italie, notamment dans les domaines énergétique, militaire et logistique, s’affirme comme l’un des axes structurants d’un nouvel ordre méditerranéen en formation. Ce partenariat, s’il est perçu à Rome comme une opportunité historique de leadership régional, devient un véritable cauchemar stratégique pour la France, dont l’influence en Afrique du Nord et au Sahel ne cesse de s’éroder. L’axe Alger-Rome remet en question les équilibres établis, exacerbe les rivalités euro-méditerranéennes et redessine la carte des alliances autour des ressources et des corridors énergétiques.
Le pivot de ce partenariat est sans nul doute la question énergétique. Depuis la guerre en Ukraine et la rupture progressive avec le gaz russe, l’Italie a activement cherché à diversifier ses sources d’approvisionnement. L’Algérie, deuxième fournisseur de gaz de l’Europe, est rapidement devenue un partenaire incontournable. Grâce à un renforcement du rôle de la Sonatrach, des investissements croisés, et des projets d’infrastructure comme l’expansion du gazoduc Transmed, l’Italie a sécurisé une part stratégique de ses importations.
Ce rapprochement énergétique marginalise de facto la France, qui n’a ni les volumes d’importation comparables ni une relation aussi stratégique avec Alger. Pire encore pour Paris : la diplomatie italienne, plus agile et moins empreinte de lourdeurs postcoloniales, a réussi là où son homologue française a échoué, en consolidant un lien de confiance avec les élites algériennes, dans un climat où la mémoire coloniale reste un facteur de tension latent.
Un axe logistique en formation : de la Méditerranée à l’Afrique
Au-delà du gaz, l’Italie mise sur l’Algérie comme un hub logistique vers le Sahel et l’Afrique subsaharienne. Le projet de route transsaharienne reliant Alger à Lagos, le développement de corridors ferroviaires et portuaires (comme celui du port de DjenDjen), ainsi que la multiplication des accords dans les secteurs du transport maritime et aérien, traduisent une ambition claire : positionner l’Italie comme le principal canal d’accès à l’Afrique depuis le nord de la Méditerranée.
Ce projet entre en collision directe avec les intérêts français, traditionnellement structurés autour du Maghreb francophone comme zone d’influence. L’Italie, avec l’appui algérien, défie ainsi un monopole historique que Paris pensait consolidé, en créant une nouvelle géographie économique au sud de l’Europe.
Dimension militaire et sécurité régionale
Le partenariat ne s’arrête pas à l’économie. Des coopérations discrètes mais actives en matière militaire et sécuritaire se mettent en place. Rome voit en Alger un rempart crédible contre l’instabilité sahélienne, la prolifération des groupes armés et les flux migratoires. L’Algérie, quant à elle, y voit un levier d’émancipation vis-à-vis de ses relations complexes avec la France et une possibilité de diversifier ses alliances militaires, notamment face à la montée en puissance de la Turquie dans la région.
Pour Paris, ce recentrage sécuritaire hors de son giron traditionnel fragilise encore davantage sa position déjà chancelante au Sahel, après les revers militaires au Mali et au Burkina Faso. L’émergence d’un axe Rome-Alger comme pôle de stabilité alternatif pourrait à terme priver la France de son rôle de puissance régulatrice en Afrique.
Une diplomatie italienne pragmatique contre un modèle français en crise
Ce partenariat illustre l’efficacité d’une diplomatie italienne pragmatique, moins idéologisée et moins engoncée dans les logiques paternalistes. L’Italie parle le langage des intérêts, de l’énergie, des infrastructures et de la sécurité, là où la France semble encore prisonnière d’un logiciel dépassé, mêlant injonctions morales et nostalgie postcoloniale. Dans cette dynamique, Alger trouve à Rome un partenaire à la fois respectueux, cohérent et porteur d’une vision stratégique alignée sur ses propres objectifs régionaux.
In fine, vers une recomposition de l’espace méditerranéen?
Ce que redoute Paris, ce n’est pas seulement la perte d’influence à Alger, mais bien un basculement plus large. Le partenariat stratégique entre l’Algérie et l’Italie ne constitue pas un simple tête-à-tête bilatéral : il s’inscrit dans une reconfiguration plus vaste, où les rapports Nord-Sud évoluent, où les BRICS, la Turquie, la Chine et désormais l’Italie bousculent les hégémonies anciennes. Pour la France, le cauchemar n’est pas seulement italien ou algérien. Il est structurel. Et il l’invite à repenser radicalement sa posture géopolitique en Méditerranée et en Afrique.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)