Le répit aura été de courte durée. Le Président Donald Trump est revenu à la charge sabre au clair. Il a rallumé de nouveau le brasier de la guerre des tarifs douaniers. Et a fait feu de tout bois sur ses principaux alliés, qui n’ont pas plié l’échine. L’UE sera taxée de 50% à la frontière américaine. Et malheur au pays qui oserait la surenchère au nom du principe de réciprocité ! La sentence, si elle se confirme, ferait l’effet d’un véritable séisme dans les relations internationales. S’agit-il d’une forme suprême dans l’art du deal géostratégique ? Comme pour signifier que ce qui ne lui appartient pas, il le prendrait par la force ? De quoi vassaliser, sinon réduire à néant, la capacité de négociation de ses partenaires et rivaux. La mesure serait-elle applicable dès le 1er juin, sachant qu’en matière de négociation, la machine communautaire – pour ne considérer que ce bloc – est très lente à la détente ?
En vérité, l’ultimatum cache mal les intentions du président américain. Il vise moins à renflouer les caisses américaines, rongées par les déficits, qu’à semer les germes de la division au sein de l’UE. Le risque de voir réagir les pays en ordre dispersé est réel. On voit déjà apparaître de véritables lignes de fracture au sein des 27. Si cette fragmentation se confirme, c’en serait fini de l’idée d’un troisième bloc – pourquoi pas l’Eurafrique – capable de faire contrepoids au condominium USA-Chine.
L’Administration Trump mettra-t-elle à exécution les nouveaux tarifs le 1er juin, comme elle s’y était engagée en dépit des oppositions internes et externes ? Les principales puissances de l’UE vont-elles s’y résoudre, s’y soumettre et s’y résigner à cause du bouclier sécuritaire américain, dans l’espoir de limiter la casse moyennant quelques ajustements tarifaires sans gravement porter atteinte aux relations commerciales ? En tout état de cause, la guerre des tarifs douaniers, même quelque peu adoucie, va lourdement altérer et impacter les courants des échanges mondiaux et jeter un froid sur la croissance mondiale, déjà frappée d’anémie. La mondialisation résistera-t-elle à la déferlante protectionniste ? Une chose est sûre, elle ne sera plus ce qu’elle était. Le risque de graves crises économiques mondiales n’est jamais exclu.
De quoi nous éjecter du marché américain. Plus grave encore, nous subirons de plein fouet les effets du choc des tarifs douaniers sur les produits européens à destination des Etats-Unis
Comble de l’ironie : « America First » et « Make America Great Again » se retournent contre leur propre auteur, alors que le pays est au faîte de sa puissance. L’Amérique ne sortira pas victorieuse de la guerre des tarifs. Les risques de sa récession, de son isolement accru et de sa perte d’hégémonie et d’influence ne sont pas que de simples hypothèses d’école. Sans que cela ait beaucoup d’impact sur la Chine, son ennemi stratégique qu’elle cherche à affaiblir.
L’ennui – et c’est peu dire – est que nous ne sommes pas à l’abri de cette guerre des tarifs douaniers. Elle pourrait endommager, si on n’y prend garde sérieusement, notre tissu économique.
La Tunisie, en dépit de la modicité de ses échanges avec l’Amérique et de son niveau de développement, s’est vu infliger une hausse des tarifs bien plus que de raison. De quoi nous éjecter du marché américain. Plus grave encore, nous subirons de plein fouet les effets du choc des tarifs douaniers sur les produits européens à destination des Etats-Unis.
L’Europe, qui nous achète plus de 70% de nos ventes à l’extérieur, se prépare déjà à un long ralentissement des économies désormais sous la menace de la récession. Chaque point de croissance en moins dans l’UE, c’est près de 0,7% de croissance perdue pour la Tunisie.
Les exportations, ultime moteur de croissance en mode de survie, seront-elles à leur tour frappées par la foudre trumpienne ? Comme si l’arrêt des investissements et la panne prolongée de la consommation n’y suffisaient pas pour plonger dans l’abîme l’économie tunisienne qui peine à sortir la tête de l’eau ! Le risque d’effondrement de la croissance est d’autant plus réel que les surcapacités de la Chine et de la Turquie… vont inonder, entre autres, le marché local, à défaut de marché américain.
L’impact sur l’investissement – déjà moitié moindre que la moyenne mondiale et à peine un peu plus que le 1/3 dans les pays émergents d’Asie – sera lourd de conséquences. Il n’en faut pas davantage pour accélérer le phénomène de désindustrialisation et de décrochage économique qui prend des proportions alarmantes. Ne nous voilons pas la face. Nous ne verrons pas de sitôt la lumière du bout du tunnel. La crise, déjà endémique, est devant nous. Mais tout n’est pas perdu. Car c’est dans les moments les plus difficiles et les plus graves de son histoire qu’un pays pourrait retrouver les leviers et les ressorts d’un rebond, d’un redressement économique et social. Les crises, aussi graves soient-elles, sont jalonnées d’opportunités. Nous devons à cet effet retrouver de nouveaux repères, réinventer notre schéma de développement, repenser et reconsidérer notre positionnement stratégique dans un contexte marqué par de profondes mutations géopolitiques.
La Tunisie est riche de son histoire, de ses compétences humaines et de la résilience de son tissu économique. Elle pourrait et devrait reprendre la main dans les secteurs clés où elle dispose encore d’un avantage compétitif, tels que le textile, les composants automobiles, aéronautiques, l’industrie pharmaceutique et les services financiers. Le site Tunisie peut retrouver – et au-delà – l’attractivité qui fut naguère la sienne. A condition d’améliorer le cadre institutionnel, législatif, social, fiscal, monétaire et de change, de reconstruire la confiance et de réhabiliter la valeur-travail.
Nous devons nous mettre en conformité avec les exigences de compétitivité des investisseurs étrangers et locaux, sans porter atteinte à l’impératif social. Le pays doit afficher clairement, sans ambiguïté aucune, son ambition et sa volonté de se positionner dans les chaines de valeur en cours de recomposition, en tout cas celles auxquelles il peut prétendre. Il doit faire la démonstration de sa disposition de se projeter dans le futur en faisant des technologies émergentes, de l’IA, le levier stratégique de son redressement, de sa modernisation et d’une croissance souveraine. On n’accédera pas, sans cet engagement de tous les instants, à de plus hauts paliers de développement. Depuis que le monde est monde, la puissance et la prospérité des nations se mesurent à l’aune de leur capacité d’innover, d’épargner, d’investir, d’oser le futur d’anticiper et d’agir avec détermination.
Et ce n’est pas le moindre des mérites du 26e Forum de l’Economiste Maghrébin – un condensé grandeur nature d’intelligence humaine d’ici et d’ailleurs – que d’en avoir apporté l’illustration. En mettant en avant les ingrédients d’un nouveau départ de l’industrie tunisienne. On n’écrira pas autrement un nouveau chapitre de notre histoire économique. A lire et à écouter notre Spécial Forum sans modération.
Cet édito est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n 921 du 4 au 18 juin 2025