Nous allons débattre de l’Accord d’association Tunisie-UE dont nous allons célébrer d’ici peu, en juillet, le 30e anniversaire.
Trente ans, une éternité dans un monde qui évolue et se transforme à un rythme effréné. Jamais l’accélération de l’histoire n’aura été aussi forte. Trente ans d’un Accord partiel et donc forcément partial, même si, à bien des égards, on ne peut en contester les effets. En trente ans, le monde, tout autant que le pourtour méditerranéen ont considérablement changé. Beaucoup d’eau a coulé sous le pont de Carthage et entre les deux rives de la Méditerranée. On ne compte plus les failles et les fractures provoquées par la dérive des continents. L’ancien ordre économique mondial vacille et menace de décomposition, le nouvel ordre tarde à se mettre en place. Cela n’enlève rien au fait que l’Accord d’association signé en 1995, qui prolonge des accords antérieurs, a contribué à changer la physionomie de l’industrie tunisienne. Elle a été privée depuis de son puissant voile protecteur et exposée, quoique progressivement, à la concurrence internationale. Une dérégulation contenue et maîtrisée. La Tunisie s’est vu accorder un délai maximum de 12 ans pour aller jusqu’au bout de son désarmement douanier.
Cet accord n’a pas fait que des émules. Il était, en son temps et depuis, salué par les uns et dénoncé par d’autres qui y voyaient la démonstration d’un accord proche des traités inégaux des temps anciens, d’échange inégal.
Cet accord n’a pas fait que des émules. Il était, en son temps et depuis, salué par les uns et dénoncé par d’autres qui y voyaient la démonstration d’un accord proche des traités inégaux des temps anciens, d’échange inégal ou tout au moins d’un accord asymétrique : le pot de fer contre le pot de terre. Loin de cette controverse stérile, l’Accord a, en vérité, provoqué un électrochoc salvateur et contraint les industriels tunisiens à entreprendre une véritable révolution copernicienne, une mutation technologique et des transformations sans lesquelles ils auraient signé et précipité leur déclin : un plan d’accompagnement fut mis en place de manière à inciter et encourager les entreprises à engager des programmes de mise à niveau à l’effet d’élever leur niveau de productivité et de compétitivité et de les ajuster à l’égal des standards mondiaux.
Une étude d’impact a été élaborée à l’époque, aux résultats du reste apocalyptiques. Elle concluait sur ces notes: le tiers des entreprises petites ou marginales va disparaître. Le deuxième tiers, composé pour l’essentiel de PME/PMI, est sous la menace de disparition. Seul motif de soulagement : le tiers du haut de la pyramide de nos entreprises pouvait résister à la tornade de la libéralisation des échanges moyennant de puissants stimulants et l’adoption à répétition de PMN. La voie était ainsi ouverte aux bureaux d’études qui y ont fait florès pour apporter leur expertise en matière de transformation des entreprises. Celle-ci n’étant plus perçue comme une option mais comme une nécessité, y compris pour les PME/PMI accrochées à leur survie pour sortir de la zone de danger et se donner plus d’air pour affronter la concurrence européenne.
Elles ont d’autant plus de mérite qu’elles ont pris à leur charge, pour l’essentiel, le coût du PMN et de leur nécessaire transformation, loin des idées reçues selon lesquelles elles auraient largement bénéficié de la manne d’aide financière du gouvernement et de l’UE.
Trente ans après, un large bilan s’impose. Quid des avancées, mais aussi des zones d’ombre si tant est qu’elles existent? L’architecture mondiale n’est plus ce qu’elle était.
D’un mot, l’Accord d’association a projeté les entreprises tunisiennes dans la mondialisation. Elle ne fut pas heureuse pour toutes. Elle les a, en tout cas, contraintes à des remises en cause, à des efforts d’adaptation, de transformation, d’innovation et surtout à quitter leur éphémère zone de confort, à force de protection douanière, pour se frotter à la concurrence internationale. Trente ans après, un large bilan s’impose. Quid des avancées, mais aussi des zones d’ombre si tant est qu’elles existent?
L’architecture mondiale n’est plus ce qu’elle était. L’irruption de nouvelles activités, de nouveaux métiers, de technologies émergentes, de l’IA, d’un nouveau déploiement des chaînes de valeur et d’approvisionnement dans le monde a radicalement transformé le paysage industriel et fait émerger de nouvelles puissances régionales sinon mondiales.
L’UE elle-même, à force de s’élargir, n’est plus ce qu’elle était. Elle s’ouvre sur elle-même et davantage encore sur le reste du monde. Canada, Amérique latine, Asie en quête de nouveaux traités et accords d’association et de partenariat. Ce qui n’est pas, quoi qu’on ait pu dire, sans impacter sa politique vis-à-vis de son voisinage.
Un accord rénové, complet, global, ouvert sur de nouveaux horizons industriels et technologiques, plus adapté que celui de 1995 est possible au regard des liens historiques, des enjeux stratégiques et sécuritaires. Un accord a l’effet de créer une véritable communauté d’intérêt de tous les instants et un destin partagé pour un nouveau départ.
Au-delà de l’aspect sécuritaire lié à l’immigration illégale devenue la principale préoccupation de l’UE, un accord plus audacieux, plus responsable, autrement que par les mots, est possible et même nécessaire dans l’intérêt de tous.
Dans un contexte profondément marqué par l’évolution géopolitique, les transitions énergétiques, écologiques, économiques et les défis technologiques, le partenariat tunisoeuropéen doit constituer un véritable levier stratégique, une nouvelle voie à une transformation portée par la volonté d’agir en commun pour maîtriser notre destin technologique. L’IA nous offre une formidable opportunité d’accélérer la modernisation et le redressement de notre économie et de construire une croissance durable et, diront certains, souveraine. Au-delà de l’aspect sécuritaire lié à l’immigration illégale devenue la principale préoccupation de l’UE, un accord plus audacieux, plus responsable, autrement que par les mots, est possible et même nécessaire dans l’intérêt de tous. Un accord qui soit un facteur de résilience, de souveraineté et de compétitivité. C’est le moment de donner plus de chair à la politique de voisinage pour écrire une nouvelle page de notre histoire industrielle, une page tournée vers l’innovation et la responsabilité.
Nous sommes à un tournant décisif de notre histoire. Et rien n’est définitivement figé. Les équilibres d’aujourd’hui ne sont pas voués à l’éternité et ne résisteront pas aux vents des turbulences géopolitiques et des mouvements des plaques tectoniques qui sont à l’œuvre. Que dire en conclusion sinon que pour parer à tous les dangers, la Tunisie et l’UE ont l’obligation de bâtir un avenir plus efficace, plus sûr et plus inclusif.
Cet édito est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n 921 du 4 au 18 juin 2025