Le spectaculaire rapprochement opéré par l’administration Trump avec la Russie de Vladimir Poutine pèse lourdement sur l’Ukraine et le Vieux continent, mis de facto sur la touche. Mais que dit ce changement à 180° vis-à-vis de Pékin?
Ne dit-on pas que l’histoire n’est qu’un perpétuel recommencement? En février 1972, dans un coup de tonnerre dans le ciel de la guerre froide, Richard Nixon rétablira les relations avec le Chine après 20 ans de rupture diplomatique de Mao. Pour mieux accroitre la pression sur l’Union soviétique de l’époque, afin de l’affaiblir dans le jeu géostratégique mondial. Pour rappel, dans les années 1970, le président américain était dans la même situation que Donald Trump et faisait face à un front Chine-Russie, à l’époque soviétique.
Avec l’aide de Henry Kissinger, son secrétaire d’État, il réussira à fracturer cette alliance en se rapprochant de la Chine. Isolant ainsi le régime Soviétique et même conduisant à son effondrement après la chute du Mur de Berlin. Par la suite, le développement exponentiel des relations commerciales auront fait de la Chine le premier fournisseur des États-Unis et l’usine du monde.
Un demi-siècle plus tard, Donald Trump opère un retournement saisissant et une alliance qui contredit totalement la politique de Biden- l’ancien président américain ayant cherché tout au long de son mandat à isoler la Russie avec des sanctions commerciales et la confiscation des avoirs russes- en favorisant un rapprochement avec la Russie de Vladimir Poutine. Mais cette fois, pour contrecarrer les ambitions de son rival chinois et ralentir son avance au plan militaire et technologique. Et ce, d’autant plus que son économie pourrait dépasser de peu l’économie américaine au milieu des années 2040.
Retrouvailles spectaculaires
Ainsi, décor inimaginable il y a quelques mois sous le démocrate Joe Biden, les drapeaux américains et russes flottaient mardi 18 février côte à côte à Riyadh.
Plus spectaculaire encore : au bout de 4h30 d’entretiens entre le chef de la diplomatie américaine et son homologue russe Sergueï Lavrov, ce dernier, habituellement froid et impassible, déclara, hilare : « Nous ne nous sommes pas contentés de nous écouter, nous nous sommes entendus ». Des retrouvailles spectaculaires qui cassent le front commun occidental, dynamitant au passage la stratégie d’isolement de la Russie.
Mais, comment le rapprochement entre Washington et Moscou eût-il été possible à peine quelques semaines de l’installation du milliardaire républicain à la Maison Blanche ?
Avant même le sommet de Riyadh, Poutine qualifiait Trump, d’« homme intelligent, courageux, pragmatique ». L’Américain lui a parlé longuement au téléphone et lui a offert de premières concessions sur l’Ukraine avant même de négocier : pas d’adhésion de ce pays à l’OTAN, pas de retour aux frontières de 2014.
Du pain béni pour le maître du Kremlin. La Russie qui veut repousser les menaces le plus loin possible de ses frontières, demande la démilitarisation de l’Ukraine ainsi qu’un changement de régime à Kiev. Poutine souhaite également une nouvelle architecture de sécurité en Europe. Pour lui, l’OTAN ne doit plus s’étendre vers l’Est et doit retirer au moins une partie de ses troupes du continent.
Quelques jours plus tôt, Donald Trump téléphonait à son homologue russe et déclarait ouvertes les négociations pour en finir avec la guerre en Ukraine. Piétinant au passage Kiev, le principal intéressé et zappant l’Europe, grande absente du dialogue américano-russe.
La riposte de Pékin
Conscient de ce rapprochement contre-nature qui risque de mettre Pékin sur la touche au niveau de la scène internationale, des responsables chinois ont discrètement proposé à l’administration de Donald Trump d’organiser un sommet entre les dirigeants russe et américain, d’après des informations du Wall Street Journal. En attendant, Pékin multiplie les appels du pied au Vieux continent : « L’Europe doit jouer un rôle important dans le processus de paix », a affirmé le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi le 14 février, lors d’une Conférence de Munich.
A noter que la Conférence de Munich sur la sécurité, tenue en février 2025 dans la capitale bavaroise, a été marquée par des débats houleux sur l’avenir de la sécurité européenne et les relations transatlantiques. Parmi les interventions notables, le discours corrosif du vice-président américain, J.D. Vance, a particulièrement retenu l’attention en raison de ses critiques acerbes envers les alliés européens et de ses appels à une réévaluation des priorités sécuritaires. Actant ainsi devant les caméras du monde entier la rupture de l’alliance transatlantique.
Ainsi, profitant des tensions entre Washington et les capitales européennes, l’Empire du Milieu cherche manifestement à jouer la carte du Vieux Continent en surfant sur l’antipathie des Européens à l’égard de Donald Trump.
« Cette main tendue à l’Europe suscite autant de curiosité que de méfiance. On ne voit pas quels atouts la Chine possède pour la résolution du conflit ukrainien : elle n’a pas de troupes dans la région, pas d’enjeux territoriaux et n’a théoriquement pas d’alliance », s’interroge un analyste politique à l’Institut Montaigne, un think tank basé à Paris.
D’autant plus que selon l’ancienne directrice du renseignement américain Avril Haines devant le Sénat, « la fourniture, par la Chine, de composants et de matériel à double usage à l’industrie de défense russe est l’un des nombreux facteurs qui ont fait pencher la balance en faveur de Moscou sur le champ de bataille en Ukraine, tout en accélérant la reconstitution de la force militaire russe après son invasion extraordinairement coûteuse ». En effet, 90 % des composants micro-électroniques russes servant à la fabrication de missiles, chars et avions, provenaient, en 2023, de Chine.
Au final, en se rapprochant de Moscou pour tenter de déstabiliser la Chine, Donald Trump prend un pari risqué. D’autant plus que Poutine, en vieux briscard de la politique, n’a aucun intérêt à mettre tous ses œufs dans le même panier, celui de l’imprévisible milliardaire américain en l’occurrence.