Et de trois ! L’ultime moteur de la croissance est bien en peine et n’est pas loin de l’arrêt. Les récents chiffres de l’INS en apportent la triste illustration. En 2024, année d’essence électorale, où l’on distribue sans compter et où l’on relance à tout va, les exportations battent de l’aile et sont en net repli. Au même moment, les importations, portées notamment par l’envolée des achats d’énergie et de produits de consommation, poursuivent leur ascension. Bilan : le déficit commercial se creuse dangereusement et fait craindre le pire. Le moteur du 3e étage de la fusée croissance s’est en quelque sorte éteint, victime d’une baisse de régime, du reste prévisible. Le constat ne laisse pas d’inquiéter.
Désormais, les trois moteurs de la croissance sont hors d’usage ou presque. L’investissement est en chute libre et la consommation en berne sous le poids du chômage, de la stagnation des salaires et de l’explosion du coût de la vie. Ces moteurs sont si dégradés qu’ils n’arrivent plus à allumer les feux de la croissance. Signes révélateurs, s’il en est, d’un mauvais présage pour l’année 2025, dévastée dès le départ par l’un des plus grands basculements géopolitiques dans le monde. Un nouvel ordre économique impérial est déjà en mouvement. Malheur aux exclus. Cette crainte est d’autant plus fondée que les prévisions de croissance de 3,2% de la loi de finances 2025 ne font pas l’unanimité, tant s’en faut. Elles suscitent réserve et scepticisme, voire incrédulité et contestation. Les chiffres qui forment l’armature de la LF 2025 paraissent peu réalistes au regard du marasme actuel, de l’absence de véritables mesures de relance budgétaire, du niveau élevé des taux d’intérêt et du poids dissuasif de la fiscalité. Autant d’obstacles qui empêcheraient l’économie nationale de s’extraire du piège de la récession.
Cette crainte est d’autant plus fondée que les prévisions de croissance de 3,2% de la loi de finances 2025 ne font pas l’unanimité… Elles suscitent réserve et scepticisme, voire incrédulité et contestation.
La loi de finances 2025, marquée du sceau d’une fiscalité qui pénalise la transparence et ménage l’opacité, fait miroiter le spectre de l’austérité sans soulever un quelconque espoir de relance de l’économie. En cause, le poids inconsidéré du budget de l’Etat qui s’élève à près de 50% du PIB en perpétuelle stagnation quand il ne recule pas. Situation d’autant plus troublante que les dépenses de l’Etat sont financées à près de 30% par endettement, alors que la pression fiscale est portée à son paroxysme. Moralité : le budget de l’Etat est dévoyé, détourné de sa vraie fonction et de sa mission originelle. Il devrait être l’incarnation des politiques publiques et sectorielles de l’Etat, l’instrument de relance, de régulation et de redistribution. Au lieu de quoi, de par sa structure erronée, il s’oppose à la croissance du PIB et la freine.
L’Etat dépense près de 50% pour rien, sans contrepartie productive. Juste pour financer son train de vie – 24 Mrds -, rembourser le service de la dette – 14 Mrds -, subventionner carburant et produits de première nécessité -12 Mrds -, ne laissant que des miettes aux investissements d’avenir – 5 Mrds.
Privée de respiration, l’économie nationale peine à retrouver les chemins de la croissance. Il faudrait, pour cela, briser au préalable le cercle vicieux de la récession. Ni ici ni ailleurs, on ne peut tordre le cou au principe de réalité. La folie, disait Einstein, c’est de faire la même chose et de s’attendre à un résultat différent.
L’Etat dépense près de 50% pour rien, sans contrepartie productive. Juste pour financer son train de vie – 24 Mrds -, rembourser le service de la dette – 14 Mrds -, subventionner carburant et produits de première nécessité -12 Mrds -, ne laissant que des miettes aux investissements d’avenir – 5 Mrds.
Osons le changement, osons la rupture, sachant qu’ au final celui qui ose vaincra. Dans ce tourbillon géopolitique, face à une conjoncture économique mondiale aux relents guerriers, nous sommes placés au défi de repenser, de réinventer et de réorienter tout en les rationnalisant les dépenses publiques, en prenant soin d’obstruer, de toute urgence, les voies d’eau qui menacent de faire couler le navire Tunisie.
Réduire le train de vie de l’Etat n’est pas chose facile, sans que cela soit impossible. Il y a même fort à parier qu’il gagnera en efficacité et en crédibilité. Redéfinir son rôle relève aujourd’hui d’une ardente obligation. L’Etat a vocation à légiférer, en bon stratège qu’il devrait être, à faire faire et à impulser le développement plutôt qu’à endosser l’habit de gérant d’un autre temps. Son retrait des entreprises publiques en situation concurrentielle ne signifie pas son désengagement de l’économie. Bien au contraire, c’est là qu’on a le plus besoin de lui pour fixer à la fois un cap, les règles du jeu et les modalités de conduite et de régulation de l’économie et la protéger.
Que devrions-nous demain dire de nous-mêmes au regard de l’histoire quand près de la moitié du déficit extérieur est due à nos achats de carburant, alors que le pays pouvait couvrir l’ensemble de ses besoins ? Il aurait fallu pour cela délivrer de nouveaux permis de prospection et d’exploitation pétrolières plutôt que de s’en prendre aux compagnies du monde entier. Nous n’avons pas non plus pris à temps, comme on se devait de le faire, le tournant des énergies renouvelables, en profitant ainsi de ce don de la nature qu’est le soleil à profusion. C’est dans ce vaste domaine, à travers l’inévitable transition énergétique, que se trouvent les zones et les relais de la croissance qui nous font tant défaut aujourd’hui.
Nous avons par ailleurs cumulé pertes et retards pour avoir aussi et surtout abandonné et laissé dépérir d’autres et non moins importants gisements de croissance que sont nos filières agricoles : viande, lait, céréales, aliments pour bétail…, provoquant ainsi une saignée de devises qui ajoute aux difficultés de l’économie nationale. Il y a peu de filières que nous n’ayons mises à mal, au point de compromettre leur développement et leur avenir. La dernière en date est victime d’une véritable entreprise de démolition : le secteur de l’immobilier. Il menace de s’écrouler, alors que tout le monde a en tête la légendaire formule érigée en théorème : quand le bâtiment va, tout va. Et quand il ne va pas, rien ne va plus. Pourquoi alors instituer une taxe sur la valeur ajoutée de 7% à 19% sur les personnes et les ménages, qu’ils ne peuvent récupérer sous quelque forme que ce soit, n’étant pas assujettis à l’impôt sur les sociétés ? Au nom de quoi peut-on les extorquer de cette manière? L’immobilier est à l’agonie, alors qu’il peut à lui tout seul relancer l’activité et remplir autrement les … caisses de l’Etat.
Nous n’avons pas non plus pris à temps, comme on se devait de le faire, le tournant des énergies renouvelables, en profitant ainsi de ce don de la nature qu’est le soleil à profusion. C’est dans ce vaste domaine, à travers l’inévitable transition énergétique, que se trouvent les zones et les relais de la croissance qui nous font tant défaut aujourd’hui.
Il n’en faut pas plus, mais pas moins, pour sortir de la récession et de la stagflation. Entendons par là qu’on doit – fin des fins – reconstruire impérativement la confiance, aujourd’hui largement abîmée. Pour remettre en marche l’ensemble des moteurs de la croissance, créer davantage de richesse, combattre le chômage autrement qu’en distribuant de faux salaires et des subsides qui coûtent cher à la collectivité, freinent le développement de l’économie et menacent au final la paix sociale.
Aux premiers signaux de mise en œuvre de ces réformes, point besoin d’aller frapper aux portes des marchés, des pourvoyeurs et bailleurs de fonds qui nous boudent aujourd’hui, ils viendront d’eux-mêmes vers nous sans réserve ni limite. Point besoin non plus d’évoquer et d’aller chercher dans l’immédiat la croissance dans les stratosphères de la recherche, de l’éducation, de la formation et des technologies émergentes au temps long. Quand l’urgence frappe à nos portes.
Cet édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n° 914 du 26 février au 12 mars 2025