Jeff Bezos, le propriétaire du Washington Post, cherche à intervenir dans la ligne éditoriale de son prestigieux journal. Le lendemain, l’administration Trump décide de restreindre l’accès des médias à la Maison-Blanche. Simple coïncidence?
Le premier amendement de la Constitution- dont la liberté d’expression et la liberté de la presse, socle de la démocratie américaine- est-il menacé aux États-Unis? Jeff Bezos, l’ami personnel de Trump- troisième fortune mondiale et propriétaire du prestigieux Washington Post– annonça mercredi 26 février, à la surprise générale, une réorientation idéologique de son influent média en limitant les points de vue autorisés dans la rubrique Opinions du journal. Excluant ainsi de facto toute publication allant à l’encontre des « libertés personnelles » et « les marchés libres ». Sic.
Virage idéologique et opportunisme
Un virage idéologique pour marcher dans les pas de l’actuel hôte de la Maison-Blanche connu pour son aversion épidermique de la presse traditionnelle aux Etats-Unis? Toujours est-il qu’il a signifié clairement à ses journalistes que les points de vue s’opposant à sa nouvelle conception « des libertés » ne seront plus publiés sur les colonnes du Washington Post.
A noter que le changement dans la ligne éditoriale du journal imposé par son propriétaire a conduit au départ immédiat du responsable des pages Opinions, David Shipley. Celui-ci, dans un e-mail adressé à son équipe, indiqua qu’il avait décidé de se retirer « après avoir réfléchi à la meilleure façon d’aller de l’avant dans cette profession que j’aime tant ». Tout en saluant le travail de ses collègues, « une équipe de journalistes d’opinion dont l’engagement en faveur d’un journalisme d’analyse solide, innovant et rigoureux m’a inspiré chaque jour ».
Selon les observateurs, la décision de Jeff Bezos s’inscrit dans le contexte où des propriétaires richissimes de médias cherchent à influencer les orientations éditoriales pour mieux défendre leurs intérêts économiques et politiques. Cette dangereuse tendance, déjà observée dans d’autres grands titres de presse américaine, risque de porter un coup mortel à la diversité des opinions. Tout en renforçant la polarisation médiatique aux États-Unis.
Rappelons à cet égard l’opportunisme du milliardaire américain : sentant le vent tourner en faveur du candidat Trump en en octobre dernier, il somma l’influent quotidien de ne pas donner d’intention de vote en adoptant une position de neutralité. Une première car, lors des quatre dernières élections présidentielles, il avait apporté son soutien, plume à la main, aux candidats démocrates!
Dérives autoritaires
Hasard de calendrier? Le lendemain de la bombe médiatique de Bezos, l’administration Trump avait décidé de restreindre l’accès des médias à la Maison-Blanche. Ces deux décisions ont soulevé outre-Atlantique des appréhensions, au demeurant légitimes, sur l’avenir de la presse et de sa liberté. Et ce, depuis qu’Elon Musk avec son réseau X et ses 211 millions d’abonnés menace de remettre en cause l’avenir même des médias classiques.
En effet, la Maison-Blanche a durci ses restrictions d’accès aux journalistes couvrant l’exécutif. Elle a donc annoncé qu’elle assumerai désormais la sélection des journalistes ayant un accès privilégié au président. Brisant ainsi une tradition établie depuis des décennies et gérée jusqu’alors par l’Association des correspondants à la Maison-Blanche (WHCA).
« Pendant des décennies, un groupe de journalistes basés à Washington a dicté quels journalistes pouvaient poser des questions au président. Ce n’est plus le cas », a annoncé Karoline Leavitt, porte-parole de l’administration, lors d’une conférence de presse. En ajoutant qu’ « à l’avenir, le pool de presse sera déterminé par l’équipe de presse de la Maison-Blanche ».
Réaction immédiate et outragée des agences Reuters, Bloomberg et Associated Press (AP) : « Il est essentiel en démocratie que le public ait accès à des actualités sur leur gouvernement venant d’une presse libre et indépendante. Toute mesure limitant l’accès des médias au président menace ce principe » ont-ils indiqué mercredi dernier dans un communiqué commun.
Rappelons à ce propos que début février, l’administration américaine avait déjà banni l’agence Associated Press des événements à la Maison-Blanche, l’accusant de propager des « mensonges » pour avoir refusé d’adopter l’expression « golfe d’Amérique » au lieu de « golfe du Mexique ». Tandis que Trump qualifiait l’agence de « journalistes de seconde zone » et « d’extrémistes de gauche ».
Pour sa part, un collectif de sociétés et d’associations américaines de journalistes mené par la Society of Professional Journalists a également mis en garde contre les dérives autoritaires de Donald Trump : « Lorsque les dirigeants tentent de réduire au silence les journalistes par l’intimidation, les menaces juridiques et en leur retirant leurs accès, ils ne protègent pas le pays; ils se protègent eux-mêmes d’éventuelles critiques. C’est ainsi que fonctionnent les régimes autoritaires : en écrasant la dissidence et en substituant à la vérité la propagande ».
Aversion envers les médias
Enfonçant le clou, le 47e président des Etats-Unis dont l’antipathie envers les médias est bien connue, aura menacé mercredi dernier de poursuivre en justice les médias, les auteurs et les éditeurs ayant recours à des « sources anonymes ».
« Je vais poursuivre en justice certains de ces auteurs et éditeurs de livres malhonnêtes, ou même les médias en général, pour savoir si ces sources anonymes existent ou non », a-t-il écrit sur sa plateforme Truth Social.
Déjà, dès sa campagne électorale, Donald Trump avait laissé entendre qu’il comptait se venger des médias qu’il jugeait hostiles. Cette menace s’est concrétisée dès le soir de son élection, lorsque plusieurs organes de presse, dont certains critiques à son égard, se sont vu refuser leur accréditation pour couvrir l’événement.
Dérive autoritaire? Les États-Unis occupaient la 55e place dans l’édition 2024 du Classement mondial de la liberté de la presse. Soit une chute historique de dix places par rapport à l’année précédente. Qu’en sera-t-il lors du mandat de quatre ans du milliardaire républicain? Une chose est sûre : la dégringolade dans le prochain classement est assurée.