Elle s’appelle Morgan Ortagus et a servi de porte-parole au département d’Etat pendant le premier mandat de Donald Trump. Elle est maintenant l’adjointe de l’envoyé spécial au Moyen-Orient, Steve Witkof, et c’est à ce titre qu’elle est allée au Liban où elle s’est réunie avec les hauts cadres de l’Etat, à la tête desquels le président Joseph Aoun.
Le Premier ministre Nawaf Salam était alors en pleine consultation avec les partis libanais pour la constitution d’un gouvernement que les Libanais appellent de leurs vœux.
Madame Morgan Ortagus a fait 10 000 kilomètres et 12 heures de vol pour dire juste dix mots au responsables libanais : « La participation du Hezbollah au gouvernement est une ligne rouge » !!!
Les responsables libanais l’ont écoutée poliment, mais la presse, et surtout les réseaux sociaux, se sont déchainés contre l’outrecuidance et la condescendance avec lesquelles s’est comportée cette dame vis-à-vis de l’Etat libanais.
Toujours est-il que le gouvernement libanais a été constitué et la « ligne rouge » de Madame Ortagusa été franchie … quatre fois. Puisque la coalition chiite regroupant les partis Amal et Hezbollah a obtenu quatre portefeuilles, deux pour chacun, dans le nouveau gouvernement de Nawwaf Salam.
En fait, ce n’est pas la première fois que Washington envoie son personnel à Beyrouth pour donner des instructions. En 2009, juste avant les élections générales, Joe Biden, alors vice-président, s’était rendu au Liban et avait déclaré, sans ambages, que « les Libanais feraient mieux de ne pas voter pour les candidats du Hezbollah. » Il avait même averti que l’aide américaine serait suspendue s’ils le faisaient. Cette ingérence américaine eut l’effet inverse : le Hezbollah avait alors obtenu de très bons résultats aux élections de 2009 et avait fait partie du gouvernement de coalition issu des élections…
A l’ignorance par le Liban de la ligne rouge de l’adjointe de l’envoyé spécial américain au Moyen-Orient, font écho des réactions autrement plus importantes de l’Egypte, de la Jordanie et de l’Arabie saoudite aux injonctions de Donald Trump relatives à l’accueil des Palestiniens de Gaza.
Trump ne semble pas accepter l’idée qu’il puisse y avoir des Etats dans le monde arabe qui osent lui dire ‘non’. Pourtant, c’est ce que ne cessent de lui dire les premiers intéressés (Egypte, Jordanie, Arabie saoudite) qu’il continue de harceler. Plus ces pays affirment leur refus absolu de ce qui est considéré comme le projet commun israélo-américain pour le Moyen-Orient, plus Trump insiste devant les journalistes : « Non, ils accepteront. Nous faisons tellement de bonnes choses pour eux, ils ne peuvent pas refuser » …
Les bonnes choses dont il parle sont, bien sûr, les aides financières annuelles accordées au Caire et à Amman. Les montants assez substantiels reçus annuellement par les gouvernements d’Egypte et de Jordanie n’ont rien à voir avec la générosité américaine ni avec le désir de Washington de voir ces pays se développer. Il s’agit du prix que les Etats-Unis ont accepté de payer annuellement pour l’immense gain stratégique engrangé par la neutralisation de deux des plus importants voisins d’Israël.
Mardi 11 février, le roi Abdallah de Jordanie sera reçu à la Maison Blanche. Trump l’a invité pour lui répéter face à face son injonction de voir la Jordanie ouvrir ses frontières aux Palestiniens. Il y a tout lieu de croire que le roi Abdallah lui répètera face à face son refus.
Ce que Trump n’arrive pas à comprendre, c’est qu’un acquiescement à ses injonctions équivaut pour l’Egypte et la Jordanie à une déstabilisation généralisée. Or Sissi et Abdallah n’accepteront jamais de sacrifier leur pouvoir et la stabilité de leurs pays pour la réussite des projets immobiliers de Trump à Gaza…
Même l’Arabie saoudite, le traditionnel et plus important allié de Washington dans la région a signifié son refus des projets trumpiens de manière aussi inédite que saisissante : un communiqué publié à quatre heures du matin pour signifier à la fois leur refus et l’urgence avec laquelle est exprimé ce refus des projets du président américain.
Que conclure sinon que l’influence de l’empire américain dans le monde en général et dans le monde arabo-musulman en particulier est en train de se réduire comme une peau de chagrin. Mais Trump et toute la classe politique américaine continuent de vivre dans le déni total de cette nouvelle réalité qu’affirme de jour en jour cette nouvelle dynamique qui guide l’humanité vers un monde multipolaire régi par de nouveaux rapport de forces.