Dans un pays où l’espoir d’un avenir meilleur se heurte à des défis économiques persistants, parler de projets structurants est d’une actualité brûlante. Chaque initiative pourrait non seulement revitaliser l’économie, mais aussi redonner confiance aux citoyens. Cependant, derrière cette vision, se cachent des obstacles : une mauvaise planification, un manque de financements et des lourdeurs administratives. C’est dans ce contexte que l’expertise de Mounir Ben Guirat, expert économique – Développement du secteur privé et des PME – montre comment les projets structurants pourraient transformer le pays, mais aussi comment les réaliser. Interview.
Quels sont les projets structurants qui pourraient transformer le pays ?
Les projets structurants pour la Tunisie sont ceux qui ont un impact socio-économique d’envergure à court, moyen et long terme et créent des effets d’entraînement en mobilisant plusieurs intervenants pour la réalisation comme pour l’opérationnalisation. Ce dont a besoin la Tunisie actuellement et dans le futur proche, ce sont des projets d’infrastructure socio-économique. Commençons d’abord par la mise en œuvre ou la réalisation des projets déjà programmés ou à relancer. Parmi les projets économiques d’envergure, il y a lieu de relancer l’activité de production et de transformation du
phosphate et dérivés – l’une des sources les plus importantes de la Tunisie -, si nous voulons moderniser notre industrie.
d’augmenter les recettes et surtout, de mieux valoriser notre huile à l’international. La Tunisie peut largement dépasser les 5 milliards de dinars de recettes réalisées en 2024. Les investissements et les améliorations des chaînes de valeur sont à revoir et à améliorer dans d’autres secteurs, comme les dattes, les agrumes… Dans l’industrie, les filiales structurantes considérées comme des piliers de l’économie tunisienne sont les composants automobiles, l’aéronautique, la mécanique de précision, l’agro industrie…
En effet, les initiatives pour développer ces filiales se multiplient et la Tunisie est reconnue mondialement pour son attraction dans ces secteurs, mais il faut toujours améliorer et suivre la concurrence pour garder l’avantage comparatif et attirer les investissements directs étrangers.
Les deux grands projets structurants qui, à mon avis, peuvent augmenter les investissements concernent la création d’un pôle aéronautique composé d’une zone industrielle avec une infrastructure moderne et des services de pointe qui répondent aux exigences des investisseurs internationaux et des grandes compagnies aériennes. La zone de M’Ghira est, selon moi, dépassée. Il faut des laboratoires de recherches et un institut de formation métier. Ainsi, le nombre d’entreprises pourrait passer de 55 actuellement à plus de 100 au bout de 5 ans.
Le second grand projet est le pôle d’industrie automobile. Il faut suivre la même démarche. Mais attirer les investisseurs tunisiens et étrangers passe aussi par l’infrastructure industrielle. Le grand chantier à mettre en Tunisie, c’est la mise à niveau des zones indutrielles existantes. Il faut surtout créer de nouvelles zones modernes. L’Agence foncière industrielle (AFI) joue son rôle avec les moyens de bord, mais à l’ère actuelle, il ne suffit pas de fournir des terrains, parfois des locaux, il faut des zones parfaitement aménagées avec des services administratifs et financiers de proximité. Cela peut se concrétiser soit par l’investissement direct de l’Etat, soit par le secteur privé, soit par le concept partenariat public-privé (PPP), le plus répandu actuellement à l’échelle mondiale.
Les investissements structurants concernent aussi l’infrastructure économique et sociale. Le transport est un premier pilier de développement et de désenclavement. La construction de routes et la modernisation des transports routier, ferroviaire et maritime ont un impact socio-économique très important.
En Tunisie, les grands projets reliant les régions de l’intérieur avec la côte et avec les frontières sont d’une grande importance. L’autoroute Tunis-Jelma, la prolongation de l’autoroute Boussalem-frontières algériennes et bien d’autres comme la modernisation du réseau ferroviaire et son étendue sur le ter- ritoire sont des projets structurants qui impactent la vie du citoyen tunisien, les entreprises et l’économie en général. Par ailleurs, la Tunisie doit être parfaitement reliée au corridor routier africain. Cela facilitera les exportations vers les pays subsahariens.
Le projet RFR et son extension vers la Manouba, tout comme le réseau du métro de Sfax, sont des investissements prioritaires. En infrastructure sociale, il y a deux secteurs prioritaires dans lesquels il faut urgemment investir : l’éducation et la santé. Dans le secteur de l’éducation, les investissements doivent concerner beaucoup plus la revue du système éducatif public pour l’adapter à la demande du marché du travail.
De nos jours, on s’oriente vers la technologie, voire la haute technologie. Ainsi, l’investissement dans la formation technique et professionnelle devient nécessaire et important. Il y a lieu donc de moderniser nos universités et surtout nos centres de formation professionnelle.
Pour le secteur de la santé, qui depuis des décennies souffre de plusieurs problèmes et notamment du manque d’investissements, de la dégradation des infrastructures et de la prépondérance, souvent voulue, du secteur privé, l’Etat doit réinvestir massivement et régler le cap. Les projets doivent concerner la réhabilitation et la restructuration des hôpitaux existants, l’accélération de la construction des hôpitaux déjà programmés et la programmation d’autres. Le grand complexe hospitalier de Kairouan en fait partie, comme les hôpitaux universitaires de Jendouba, Kasserine et Béja. D’autres secteurs nécessitent aussi des investissements structurants. L’environnement en fait partie, comme le dépôt de déchets de Talabet à Djerba, celui de Borj Chakir qui arrive à saturation et bien d’autres. L’investissement dans ce secteur doit être orienté vers le recyclage.
Extrait de l’interview qui est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin du 20 novembre au 4 décembre 2024