« Aux grands hommes la patrie reconnaissante ». Cette célèbre expression gravée sur le fronton du Panthéon ne représente, malheureusement pas, l’attitude des ministres des Affaires culturelles de l’après révolution à l’égard du poète Mnaouar Smadah. C’est plutôt le célèbre proverbe, « Nul n’est prophète en son pays » qui traduit parfaitement la tragédie des temps modernes. A l’occasion du 25ème anniversaire de la disparition du poète (28 décembre 1998) nous dépoussiérons son parcours.
Ainsi, né en 1931 à Nafta (Gouvernorat de Tozeur), il était un poète autodidacte. Il n’a jamais suivi d’études scolaires. Cependant, lecteur chevronné, Mnaouar Smadah a fréquenté les milieux littéraires.
En effet, Mnaouer Smadah est un poète engagé. Il s’est engagé politiquement et poétiquement pour l’indépendance de la Tunisie. Déjà, avant l’indépendance, il était l’un des camarades de Habib Bourguiba. Il croyait et défendait bec et ongles le symbole du « combattant suprême », comme leader pour l’indépendance. D’ailleurs, il n’a pas manqué de lui rendre hommage. Et ce, à travers de nombreux poèmes. Mais après l’indépendance, les camarades d’hier sont devenus les ennemis de toujours.
Le poète qui a chanté la révolution avant l’heure
A cet égard, l’auteur de 12 livres ne s’est pas limité à la cause tunisienne. Mais il a défendu, par le truchement du verbe, les causes qu’il croyait justes. De ce fait, il a plaidé pour l’indépendance de la Tunisie et celle de l’Algérie. Et ce, avant de plaider pour l’union du monde arabe. Pratiquement, il a défendu bec et ongles la majorité des militants. De même, il prenait parti pour le Vietnam contre l’invasion américaine. Sans parler de son engagement sans répit pour la cause palestinienne. Bref, il était obnubilé par les mouvements de libération partout dans le monde.
Raison pour laquelle, le poète a manié sa plume comme si elle était son épée. Pour combattre, non pas par les armes, mais par les mots. Depuis son enfance, il habite les mots et les mots l’habitent. S’il cherche une idée fugace ou une image poétique, c’est pour en faire une arme de résistance.
Alors, comment se fait-il que les ministres des Affaires culturelles n’aient pas rendu hommage au poète qui a chanté la révolution avant l’heure? Comment se fait-il que la révolution du 17 décembre 2010 / 14 janvier 2011 n’ait pas rendu hommage à l’un de ses précurseurs?
Quand le poète subit l’injustice et le harcèlement sous l’Etat de l’indépendance
Cependant, il faut savoir que la relation entre le poète et Habib Bourguiba a connu deux phases. La première est celle de l’avant-indépendance. Pendant cette période, le poète n’a pas lésiné sur ses efforts pour soutenir Bourguiba. Non pas pour sa personne. Mais parce qu’il incarnait, pour lui, le symbole de la lutte contre le colonisateur. Ainsi, la figure de Bourguiba comme combattant pour l’indépendance et l’image de la Tunisie qui souffre après l’indépendance ont traversé sa poésie de bout en bout. Notons que le poète était un Destourien convaincu.
D’ailleurs, connaissant la valeur et l’influence de sa poésie sur les gens, Habib Bourguiba ne commençait ses discours lors de ses réunion dans les villes avec les militants et les Destouriens que suite à l’intervention du poète. Lequel récitait des poèmes patriotiques pour éveiller les auditeurs.
Puis, vint la deuxième phase, après l’indépendance. A cette époque, le poète ne manque pas de critiquer sévèrement le régime de Bourguiba. Surtout que Mnaouer Smadah prônait le panarabisme et le socialisme dont le premier président de la République était un farouche opposant.
Car, Mnaouar Smadah a été confronté à une autre réalité. Aux yeux du poète, celui qui a lutté auparavant pour l’indépendance est désormais le symbole du parti unique et du despotisme. A cette réalité, le poète a réagi en écrivant plusieurs poème contre Bourguiba et son régime. La réponse du régime destourien ne s’est pas faite attendre. Harcèlement et interrogatoires violents en 1967 ont vite aggravé sa situation psychologique avant qu’il ne sombre dans la démence. D’ailleurs, sa famille n’a jamais su ce que le poète a subi réellement lors des interrogatoires. Une chose est sûre, la dégradation de son état psychologique a commencé à apparaître à partir du premier interrogatoire.
Ensuite, Mnaouar Smadah fut admis à plusieurs reprises à l’hôpital psychiatrique Errazi à La Manouba. En 1969, à l’hôpital, il écrit son célèbre poème « Les Mots ». Plus tard, la chanteuse Sonia Mbarek interprétera le poème. De même, dans sa pièce de théâtre « Jounoun », Fadhel Jaïbi s’est inspiré de l’histoire de Mnaouer. Le personnage principal de la pièce Noun a même récité le poème « Les mots » dans une scène très célèbre de la pièce à succès.
De 1973 à 1998, le poète est tombé, presque, dans l’oubli. Ces longues années étaient celles de la démence et de l’abandon. En 1989, l’ancien président de la République, Zine El Abidine Ben Ali a décerné au poète le Prix national des lettres et des arts. Et ce fut son frère cadet Abderrahim Smadah qui se présente au palais présidentiel pour la remise des prix. Et ce, à cause du terrible état psychique du poète. La même année, l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts, Beït El Hikma, organisait un colloque pour dépoussiérer son œuvre. Ainsi la réhabilitation du poète commençait timidement.
Et maintenant, que demande la famille du poète?
Aujourd’hui, les revendications de la famille du poète n’ont rien à voir avec le dédommagement matériel. Loin de là, elle ne demande que la réhabilitation de son fils. La première des revendications est la réédition des Œuvres complètes du poète. Éditées en 1995, les œuvres complètes du poète sont épuisées. Même chez les bouquinistes, elles ne sont plus disponibles. La réédition des œuvres complètes permettra à la nouvelle génération de découvrir l’histoire et la poésie de Mnaouar Smadah.
La deuxième revendication porte sur la vérité du sort du poète. Sa famille voudrait connaître la vérité sur les violations qu’il a subies. La troisième revendication est d’inclure la poésie du poète dans les programmes scolaires. Puisque ce poète était déjà présent dans les programme scolaires jusque dans les années 90. Et ce, avant qu’il ne soit supprimé des programmes. Pour rappel, la famille a déposé le dossier du poète auprès de l’IVD en 2016. Au mois de novembre 2019 , l’Instance chargée de la justice transitionnelle a reconnu le poète comme victime de l’ancien régime. La famille et les proches du poète espèrent bien que leurs revendications ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd et une fois de plus aux oubliettes de l’Histoire. Jusqu’à l’heure de l’écriture de ses lignes,