Bien que la Tunisie soit « détrônée » par la Libye en tant que premier pays de transit pour les migrants vers l’Italie, la question migratoire sera au cœur de la visite très brève qu’effectue, ce mardi 6 juin, la présidente du Conseil italien, Giorgia Melonie, en Tunisie.
Depuis le début de l’année en cours, ce sera son troisième déplacement sur la rive sud de la Méditerranée. Ainsi, après avoir visité successivement Alger et Tripoli, la Première ministre italienne, Giorgia Meloni reprend son bâton de pèlerin. Elle arrivera ce mardi à Tunis à 10 heures du matin pour une visite qualifiée pompeusement d’officielle. Alors qu’elle ne passera en vérité que quelques heures sur notre sol.
Dossiers lourds
Ce court laps de temps, s’interrogent les observateurs, sera-t-il suffisant pour traiter à fond les dossiers lourds à l’ordre du jour. A l’instar : des pourparlers interminables et dont on ne voit pas le bout du tunnel entre la Tunisie et le FMI pour un prêt de 1,9 milliard de dollars; du plan Mattei visant à stimuler le développement dans les pays africains dont les migrants sont originaires; de l’initiative lancée par le président de la République, Kaïs Saïed, en vue de tenir une conférence de haut niveau entre les pays concernés par la question migratoire, notamment les pays situés au Nord et au Sud de la Méditerranée ainsi que ceux du Sahel et du Sahara. Ou encore l’épineuse question de la prolifération de la migration à partir de la Tunisie vers les côtes italiennes?
Mais, si la vision du chef de l’Etat tunisien concernant la problématique de l’immigration clandestine était « globale » puisqu’elle inclut les pays des deux rives de la Méditerranée ainsi que ceux du Sahel et du Sahara; l’approche de Mme Meloni semble plutôt d’ « ordre sécuritaire ». En effet, elle se limite au continent européen, à ses yeux victime de « l’invasion de hordes d’immigrants clandestins ».
C’est dans ce sens qu’elle a appelé l’Union européenne à tenir un Sommet sur l’immigration. « Le gouvernement doit trouver un moyen pour freiner l’exode africain de toute urgence. Nous risquons une invasion si l’Europe ne bouge pas ». C’est ce que rapporte le quotidien italien Corriere della sera dans son édition du 14 mars 2023. En précisant que « les chiffres ont triplé par rapport aux premiers mois de 2022 ». « La pression sur l’Italie augmente, le nombre de débarquements et de naufrages au large des côtes siciliennes affecte l’opinion publique. Mais les paroles et les initiatives ordinaires des forces de l’ordre ne suffisent plus. Nous devons passer rapidement aux actes », soulignait encore la cheffe du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia.
La « rigidité » du FMI
Il convient également de rappeler que la Première ministre italienne est apparemment préoccupée par « l’effondrement » de la Tunisie. « Ce qui pourrait pousser une nouvelle vague de migrants à traverser la Méditerranée » estime-t-elle. Ainsi, elle appelait, en marge du sommet du G7, le Fonds monétaire international (FMI) à venir en aide à la Tunisie, « en proie à une grave crise financière ». De même qu’à adopter une approche « pragmatique » pour débloquer des financements à la Tunisie « sans conditions préalables ».
« La Tunisie se trouve dans une situation très difficile, une fragilité politique évidente et face à un risque de défaut de paiement imminent », avertissait-elle également, en mai dernier à Hiroshima, lors du sommet du G7. A savoir, la rencontre internationale annuelle à laquelle participent les sept pays suivants : France, États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Japon, Italie et Canada, ainsi que le président du Conseil européen et le président de la Commission européenne.
Or, « les négociations entre le FMI et la Tunisie sont de fait bloquées », déclarait-elle. En ajoutant que l’institution financière internationale fait preuve d’une « certaine rigidité », n’ayant pas « obtenu du président tunisien Kaïs Saïed toutes les garanties qui seraient nécessaires ».
« C’est compréhensible d’une part; mais d’autre part est-on sûr que cette rigidité est la meilleure voie? Savons-nous quelles pourraient être les alternatives, si ce gouvernement (tunisien NDLR) tombe? Je crois que l’approche doit être pragmatique. Car sinon on risque d’aggraver des situations déjà compromises », a averti la présidente du Conseil italien.
Meloni sur tous les fronts
Très active au Sommet du G7, Giorgia Meloni a d’ailleurs rencontré la directrice générale du FMI Kristalina Georgieva, avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, pour évoquer « la question de l’immigration et notamment la Tunisie ».
« Le président des États-Unis Joe Biden et le président français Emmanuel Macron se sont joints à elles pour un bref passage », a-t-on précisé de même source. Ajoutant que Paris, à l’instar de Rome, considère que la finalisation d’un programme d’aides entre la Tunisie et le FMI est une « priorité ». C’est ce que rapporte, samedi 20 mai 2023, l’agence de presse italienne Nova.
Pour sa part, le chef de la diplomatie italienne, Antonio Tajani, avait également appelé, le 15 mars 2023, dans une déclaration accordée à la chaine Sky 24, à soutenir financièrement notre pays. Et ce, « pour pouvoir défier la migration illégale. L’objectif étant de s’attaquer aux raisons du phénomène de la migration irrégulière et d’identifier les moyens appropriés permettant de mettre fin la crise humanitaire qui en découle ».
Bref, il est fort probable que Mme Meloni propose lors de sa visite le deal suivant. D’un côté, l’Italie joue le rôle de porte-parole du dossier tunisien. Et en contrepartie la Tunisie, le point de passage le plus proche de ses côtes, assume pleinement le rôle de garde-côte de ses frontières maritimes?
Si c’était le cas, ne serait-il pas légitime de parler d’un marché de dupes?