Avec des rebondissements en cascade, cette histoire de nouvelle Constitution s’affuble des caractéristiques d’un vaudeville grivois, ennuyeux, imposé à des spectateurs qui n’ont guère le choix que d’y assister.
Pendant la décennie noire, nous avons eu pour gouvernants ceux qui se sont réclamés d’une « mission divine » avec les résultats que l’on sait. En d’autres termes, c’est « Dieu », a-t-on tenté de nous convaincre, qui leur a ordonné de nous mettre sur le droit chemin pour faire notre bonheur. La deuxième constitution du pays naissant dans ce contexte.
A l’aube d’une nouvelle décennie qui ne s’annonce guère meilleure que la précédente, nous avons ceux qui se réclament d’une mission « voulue par le peuple ». En d’autres termes, c’est « le peuple » qui leur a demandé de se doter des pouvoirs nécessaires. Et ce, afin de mettre le pays sur les rails et les corrompus hors d’état de nuire.
On sait depuis la nuit des temps que l’honnêteté, la probité, la correction et la rectitude ne sont pas les meilleurs atouts pour réussir en politique. Pourtant, depuis son accession au pouvoir, on nous répète sans cesse que Kaïs Saïed est un homme « honnête et intègre ». Soit. Mais, la manière dont il est en train de gérer les affaires du pays depuis le 25 juillet 2021 prouve amplement que le président ne diffère en rien du commun des hommes politiques.
Ainsi, la question qui se pose et qui s’impose est: pourquoi a-t-on mis en place des commissions chargées de rédiger un texte constitutionnel? Si le projet présidentiel était déjà rédigé ou en train de l’être. Pourquoi avoir fait perdre leur temps à une centaine d’experts en matière juridique, économique et sociale à plancher sur un projet de constitution? Alors que le président avait son propre projet sous la main. Il faut être vraiment simple d’esprit pour croire sérieusement que le texte publié au journal officiel était rédigé entre le 20 et le 30 juin…
C’est probablement une première dans les annales politiques mondiales qu’un peuple qui s’apprête à se prononcer sur un projet de constitution ne sait ni quand, ni comment et encore moins par qui le texte a été rédigé.
Il est indélicat, pour ne pas dire indécent, de laisser une centaine d’honnêtes citoyens parmi l’élite du pays perdre temps et énergie dans la rédaction d’un projet de Constitution destiné dès le départ à la poubelle. De même qu’il est indélicat, pour ne pas dire indécent, de les traiter eux et leur travail par le mépris. En ne prenant même pas la peine de leur dire même par téléphone que leur projet n’a pas été accepté.
Le doyen Belaid a eu la bonne idée de rendre public son texte et nous permettre ainsi de le comparer avec le texte présidentiel. Une comparaison qui s’avéra être un voyage dans le temps entre le XXIe siècle dans lequel le texte de Belaid voulait nous maintenir en nous dotant de la boussole constitutionnelle appropriée qui nous guide, et le sombre passé de l’autoritarisme vers lequel le texte présidentiel veut nous faire revenir.
Pour s’en convaincre, il suffit de voir l’étendue des prérogatives que s’est accordé le président. Tout en prenant soin de ne mettre aucun mécanisme de contrôle et de sanction d’éventuels abus de pouvoir.
Il suffit de voir l’article 5 qui fait le bonheur des salafistes de tous bords. A l’exemple de l’idéologue du terrorisme islamiste, Béchir Ben Hassen. Ce dernier a en effet couvert d’éloges le projet constitutionnel et souhaité vivement son adoption et son application.
Il suffit aussi de voir les larges possibilités qu’offre le projet constitutionnel présidentiel à la domination de « la fonction judiciaire » par l’Exécutif.
Il suffit encore de voir la composition et le mode de désignation des membres du Conseil constitutionnel. Un Conseil qui naitrait « unijambiste », selon la formule du doyen Belaid. Car le président a pris soin de n’y inclure que les juges, excluant les professeurs de droit constitutionnel. Ceux-ci y voient une « réaction futile » de la part du président. Et ce, à leur refus de participer aux travaux des commissions chargées de rédiger le projet de Constitution destiné à la poubelle.
Il suffit de voir enfin le système régional et territorial « obscur, ambigu et qui n’augure rien de bon », pour reprendre l’expression du doyen Belaid. Certains y voient les prémices de « la construction de base » et de l’émergence de milices qui rappellent les comités de triste mémoire révolutionnaires de Mouammar Kadhafi. Ainsi, des bandes de jeunes excités, se prenant déjà pour des comités révolutionnaires, ont perturbé les meetings qu’ont tenté d’organiser dimanche 3 juillet à Sidi Bouzid les responsables du parti Afaak. Cela n’augure rien de bon en effet.
Sans parler de l’inénarrable préambule. Beaucoup y voient une réécriture de l’histoire du pays, dépourvue de toute référence au rôle des pères de la Nation et des bâtisseurs de l’Etat moderne.
Depuis le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed gouverne en président qui a tous les pouvoirs qu’il exerce dans toute leur plénitude. Un autoritarisme rampant qui évolue sans aucun frein, sans le moindre contre-pouvoir.
A partir du 25 juillet 2022, si son projet est adopté, Kaïs Saïed y verra sans l’ombre d’un doute une approbation de ses dérives autoritaires. De même qu’une légitimation de son exercice solitaire du pouvoir. Mais l’ivresse du pouvoir ne devrait pas distraire le président d’une vérité fondamentale. A savoir que l’exercice autoritaire du pouvoir ne protège pas contre les explosions sociales que pourraient engendrer les crises multiformes profondes, l’appauvrissement continu du pays et l’intense paupérisation de la population.
A supposer que les neuf millions d’électeurs se déplacent le 25 juillet aux urnes et que 90% d’entre eux votent « oui ». Cela ne nous donnera aucune assurance quant à la stabilité du pays et à la tranquillité du citoyen. Car, en dernière analyse, la meilleure Constitution du monde et les plus propre et intègre des présidents ne seraient d’aucune utilité si les citoyens n’avaient pas les moyens de nourrir décemment leurs familles et d’éduquer convenablement leurs enfants.
Par conséquent, les rédacteurs du projet constitutionnel auraient été beaucoup mieux inspirés d’imposer à l’Etat la réalisation des objectifs de la prospérité économique du pays. Et ce, plutôt que les objectifs de l’islam que les Tunisiens ont intériorisés déjà depuis 13 siècles.