Désormais, c’est la guerre ouverte entre le mouvement islamiste Ennahdha et le président de la République accusé d’être un dictateur. De l’avis des observateurs de la scène politique en Tunisie, ce conflit à couteaux tirés entre les deux Présidences déterminera en aval la nature du régime mi-présidentiel, mi-parlementaire; source de gabegie qui tire le pays vers le bas.
Du conflit feutré où les apparences étaient plus au moins sauves, le parti islamiste Ennahdha, dos au mur, est passé à une guerre totale et frontale contre la présidence de la République avec le recours à l’artillerie lourde. Et des accusations qui fusent de velléités de dictateur.
« Un projet de dictateur »
« On n’a pas peur du président de la République, mais on a peur pour lui ». Ainsi nuançait le président du conseil de la Choura du mouvement Ennahdha, Abdelkarim Harouni. Et ce, en référence au discours prononcé dimanche dernier par Kaïs Saïed, à l’occasion de la célébration du 65ème anniversaire des forces de l’intérieur. Discours au cours duquel le chef de l’Etat s’était solennellement autoproclamé chef des forces armées militaires et sécuritaires. Provocation suprême assimilée pour Ennahdha à une déclaration de guerre en règle.
« Certains poussent le président de la République à devenir un projet de dictateur. Ils veulent faire croire que le problème est entre le chef de l’Etat et Ennahdha; alors que ce n’est pas le cas. Ennahdha demeurera une force de rassemblement et de dialogue et n’ira pas vers une confrontation avec Kaïs Saïed ». C’est ce que déclarait, conciliant, Abdelkarim Harouni, le fidèle lieutenant de Rached Ghannouchi, sur les ondes de Shems FM.
« Il a un problème avec la terre entière »
Et d’enfoncer le clou: « Le problème est entre le chef de l’Etat et l’Etat, le chef de l’Etat et la Constitution. Entre le chef de l’Etat et la révolution, entre le chef de l’Etat et la démocratie, entre le chef de l’Etat et le parlement. Entre lui et le gouvernement, entre Kaïs Saïed et les appareils sécuritaires. Et encore entre le président de la République et les appareils militaires, entre le chef de l’Etat et la justice. Enfin, entre Carthage et les médias ». Tels sont les griefs que l’invité de Hamza Belloumi énumérait lors de son passage, hier mercredi 21 avril 2021. Et ce, lors de la célèbre émission La Matinale sur Shems FM.
Théorie du complot
En outre, M. Harouni ne se prive pas à l’occasion de crier comme à l’accoutumée à la théorie du complot. Il affirme donc: « Il y a une tentative au sein du palais de Carthage, d’une minorité au Bardo et de forces extérieures pour créer un projet de dictateur en Tunisie.
Il y a des personnes qui tentent de faire de Kaïs Saïed un projet de dictateur. Ennahdha a pris une position ferme pour que le chef de l’Etat reste le symbole de l’Etat, de l’unité de l’Etat, du respect de la Constitution, du respect de la volonté du peuple, du respect du parlement, du respect du gouvernement.
Nous, nous défendons le président de la République. Nous n’attaquons pas le président de la République. Mais, il y a des personnes qui poussent le pays vers une confrontation entre le chef de l’Etat et le mouvement Ennahdha. On ne va pas suivre ce chemin et on appelle le président de la République à cesser l’escalade dans son discours ». C’est ce qu’assurait le président du conseil de la Choura du mouvement Ennahdha. Alors, un Président sous influence?
Mechichi appelé à défier le Président
D’autre part, et dans un souci évident de monter d’un cran dans l’escalade contre Kaïs Saïed, Abdelkrim Harouni, un faucon notoire d’Ennahdha, a appelé le chef du gouvernement Hichem Mechichi à exercer pleinement ses prérogatives. Et ce, en accélérant la mise en œuvre du remaniement ministériel. Afin de permettre aux membres du gouvernement de rejoindre leurs ministères respectifs sans attendre l’aval du Président.
« J’appelle le chef du gouvernement à mettre en place son remaniement approuvé par le Parlement. En attendant la Cour constitutionnelle. J’appelle le chef du gouvernement à appliquer ses prérogatives », martelait le dirigeant d’Ennahdha.
Quelle que soit l’issue de ce bras de fer qui oppose les deux têtes de l’Exécutif, il semble acquis que cette crise débouchera inéluctablement sur une nouvelle donne. Laquelle bouleversera le paysage politique en Tunisie dans les décennies à venir. A savoir: soit le passage à un régime présidentiel souhaité par la majorité des citoyens. Soit le maintien d’un régime parlementaire hybride fait sur mesure par et pour Ennahdha.