La Tunisie a pu clôturer un exercice budgétaire initialement parti pour être compliqué. Et ce, grâce à des recettes fiscales record (28,9 milliards de dinars). Mais cela est passé par une pression fiscale de 25,3%. Il faut donc rectifier le tir. Objectif : garder le cap côté revenus tout en donnant plus de marge aux agents économiques.
Tout d’abord, il faut commencer par une analyse de cet argent collecté. La recette fiscale est dominée par les impôts sur les revenus dont la contribution s’est élevée à 30,5%. C’est la proportion la plus forte depuis 2017. La hausse par rapport à 2018 provient essentiellement de la progression de l’IRPP (+43,2% à 5,488 milliards de dinars). L’impôt sur les sociétés s’est inscrit également à la hausse (+41,7% à 3,835 milliards de dinars), grâce aux sociétés non pétrolières. Celles-ci ont payé 802 millions de dinars de plus par rapport à l’année précédente.
En dépit de ces progrès, les impôts directs ont seulement représenté 43,8% des recettes fiscales. Ce sont les impôts indirects qui dominent encore les ressources de l’Etat, notamment la TVA (7,797 milliards de dinars).
Il faut préciser ici que ces sommes ne sont pas relatives à l’unique activité économique de 2019. Elles englobent également une partie de l’impôt lié aux exercices antérieurs dans le cadre de l’effort de recouvrement de l’administration. C’est ce qui explique l’envolée de la pression fiscale qui reste plus modérée pour les sociétés qui respectent la réglementation.
L’Etat est donc entre l’enclume de la nécessité d’autant de ressources pour respecter ses engagements de dépenses et le marteau de l’obligation d’alléger la pression sur les entreprises.
Impôt sur la fortune
Dans le document retraçant les résultats provisoires de l’exécution du budget de l’Etat, nous retrouvons une autre répartition de ces ressources, entre recettes courantes et recettes en capital.
Cette segmentation nous offre un chiffre particulièrement important : l’impôt sur le patrimoine a permis de collecter 580 millions de dinars en 2019. Soit 2% des montants encaissés. La mise en place d’un impôt sur la fortune (ISF) serait donc une vraie niche pour améliorer les recettes fiscales tout en rendant le système plus équitable. D’ailleurs, c’était l’un des axes de réflexion de Feu Slim Chaker lorsqu’il était ministre des Finances.
Néanmoins, ce genre de mesure est une arme à double tranchant. Bien qu’elle soit populaire, elle risque de ne pas plaire à une classe d’entrepreneurs, d’industriels et de familles qui constituent le noyau dur de l’économie tunisienne.
Conditions sine qua non du succès
Pour qu’il soit efficace dans le contexte tunisien, il faut s’assurer de certains préalables.
En premier lieu, il convient de préparer une base de données complète sur les détails des fortunes et leurs détenteurs. L’administration fiscale est l’une des plus digitalisées et dans quelques années, elle va pouvoir détenir suffisamment de data qui l’aidera à ce niveau.
De plus, l’impôt doit être appliqué d’une façon intelligente. Imposer tout n’a aucun sens. Il faut épargner certaines catégories d’actifs, comme l’héritage. Il ne doit pas viser la première maison, mais plutôt les biens immobiliers autres que la résidence principale. Pour les véhicules, il convient de cibler uniquement les voitures de luxe.
La troisième condition est de préparer une grille d’évaluation correcte et claire pour les différents actifs. Car l’impôt sera appliqué sur la base d’une estimation de la valeur du bien.
Dans tous les cas, le seuil pour être éligible à l’ISF doit être suffisamment élevé pour que la classe moyenne ne soit pas sanctionnée. Idéalement, le taux appliqué est dégressif. Et il est plafonné à 1% pour ne pas pousser les contribuables à des sous-évaluations qui privent l’Etat d’autres taxes et encouragent les pratiques frauduleuses.
En parallèle, et pour mieux exploiter cet impôt, certains créneaux d’investissements doivent être laissés exonérés. Et ce de sorte à orienter le cash dégagé comme les valeurs mobilières ou l’agriculture.
Impôt déflationniste
L’ISF est censé donner de la profondeur au marché des actifs illiquides. Il y a une baisse considérable dans le nombre de transactions du secteur immobilier depuis quelques années. Ceux qui sont sur une vente perdent des mois pour conclure une affaire. Par ailleurs, et puisque les biens vont devenir une source de charges pour leurs propriétaires, ils seront mieux exploités de sorte à générer des revenus. Ceci va doper l’offre et faire baisser les prix.
Au bout de quelques années, avec la récurrence des recettes dégagées et la maîtrise des charges publiques, il serait possible de baisser certaines autres taxes. C’est de cette façon qu’on migre vers un système fiscal équitable. Dans tous les cas de figures, il ne peut pas être appliqué tout seul, mais dans le cadre de grandes réformes des finances publiques.