Avant les élections législatives, pratiquement tous les observateurs et tous les commentateurs prévoyaient une Assemblée sous forme de mosaïque. Cependant, l’état d’éparpillement auquel ont abouti les résultats dépasse les prévisions les plus pessimistes. Ce n’est pas la seule incongruité de ce scrutin législatif peu ordinaire, mais très tunisien.
Tout d’abord, et comme c’était prévu d’ailleurs, la majorité des Tunisiens inscrits sur les listes électorales préférèrent rester chez eux. Bien qu’ils ne cessent de geindre et de se plaindre, de grogner et de maugréer, de se lamenter et de grincer des dents. Ceux qui allèrent voter aux élections législatives nous ont offert un parlement qui porte tous les signes de la paralysie. Et qui ressemble à cet aigle cul-de-jatte qui a certes son nid au sommet de la montagne, mais qui est incapable de voler. Le prochain parlement est détenteur de larges prérogatives, mais il sera incapable d’engendrer un gouvernement solide. Et capable de le soutenir en ces temps difficiles pour le pays et pour son économie.
Démocratie à la tunisienne
En parfait accord avec ce qu’il faut désormais appeler démocratie à la tunisienne, ces élections législatives ont abouti à cette situation bizarre : le principal gagnant est en fait le principal perdant. En effet, Ennahdha se retrouve aujourd’hui à la première place avec une cinquantaine de sièges au Parlement (89 sièges en 2011 et 68 en 2014). Elle est tenue, de par les dispositions de la Constitution, de former le gouvernement et de retrousser les manches pour gouverner le pays.
Que peut faire le parti islamiste avec un nombre si limité de députés? Rien du tout. Et à supposer qu’il puisse compter sur les salafistes et les anciens des “ligues de protection de la révolution” qui font une entrée tonitruante au parlement, les “gagnants” sont encore très loin du compte. Pour avoir le minimum requis, c’est-à-dire 109 députés, Ennahdha doit trouver d’autres partis qui accepteraient de s’allier avec elle.
Veuve noire
Et c’est là où le bât blesse. Le parti islamiste traîne aujourd’hui la douteuse réputation de veuve noire. Cette araignée effrayante qui dévore le mâle avec qui elle s’accouple. Pour avoir eu l’imprudence de s’allier avec Ennahdha, Ettakattol de Mustapha Ben Jaâfar et le Congrès pour la République de Moncef Marzouki disparurent carrément de la place.
Mais si Ennahdha se servit amplement de ces deux partis sans avoir déclaré l’intention de les phagocyter, il n’en est pas de même de Nidaa Tounes. Les “victorieux” du parti islamiste n’eurent pas froid aux yeux de se targuer cyniquement que leur alliance avec le parti de Béji Caïd Essebsi, c’était dans l’intention de le faire éclater.
Et ils ont réussi au-delà de leur délire le plus fou. Grâce il faut bien le dire à la stupidité sans bornes, à l’autisme, à l’égotisme et au culte du moi des dirigeants de Nidaa Tounes. De 86 députés en 2014, ce parti, si l’on peut encore le qualifier de tel, se retrouve en 2019 avec un ou deux députés. Très probablement du jamais vu depuis l’invention des partis politiques. Triste fin pour un parti qui, trahissant ses promesses électorales, choisissait de vendre son âme au diable.
Le parti islamiste est le grand perdant
En dépit de cela, on ne peut pas dire que Nidaa Tounes soit le grand perdant de ces élections législatives. Pour la bonne raison qu’il n’existe plus depuis bien avant les élections. On revient donc à notre thèse de départ pour insister que le parti islamiste est le grand perdant. Bien qu’il se considère comme “le grand gagnant”.
Car le parti islamiste assume la responsabilité première dans l’état de délabrement économique et social du pays. Si la Tunisie a pu tenir pendant huit ans d’amateurisme, d’islamisme, de salafisme, de terrorisme et de plusieurs autres “ismes”; c’est grâce aux ressources matérielles et humaines laborieusement accumulées durant les règnes de Bourguiba et de Ben Ali. Maintenant, le pays est à sec, et les islamistes d’Ennahdha qui l’ont mis dans cet état, se sont mis aussi eux-mêmes dans l’impasse. Ils ne peuvent ni avancer ni reculer.
Ainsi, leur base disciplinée, avec la complicité volontaire ou involontaire des abstentionnistes, leur ont accordé la première place. Qu’on les laisse gouverner. Et que les partis sollicités pour une alliance ne perdent pas de vue la réputation de veuve noire dont s’auréole le parti de Rached Ghannouchi.