A défaut de décisions fortes, le 30e Sommet de la Ligue des États arabes, organisé les 30 et 31 mars à Tunis, fut sans surprise, actant ce qui était déjà acté.
Au lieu de symboliser l’unité arabe, la Ligue arabe incarne la désunion et l’impuissance de ses Etats membres. Au grand dam de leurs peuples, l’organisation demeure en quête de renouveau. Une perspective écartée par l’actuel leadership exercé par l’Arabie Saoudite, qui s’inscrit désormais clairement au cœur de l’axe Washington/Tel-Aviv.
Retour aux sources politiques
Lors de la naissance des États arabes modernes, la volonté d’émancipation des puissances étrangères et le mythe de l’unité n’ont pas suffi à rassembler les Arabes au sein d’une organisation étatique unique, de type fédéral. À défaut d’un « État-nation ou multinational arabe », le choix d’une organisation interétatique s’est imposé.
Les États arabes devenus indépendants ont immédiatement éprouvé le besoin, de se doter d’un organisme de solidarité politique et de défense commune, la Ligue arabe, première création dans l’ordre international d’une organisation régionale. Créée par sept États fondateurs le 22 mars 1945, la « Ligue des États arabes » s’est progressivement élargie à l’ensemble des États arabes, au fur et à mesure qu’ils accédaient à l’indépendance.
Autour du noyau dur historique constitué par les États fondateurs, l’organisation a connu un processus d’élargissement basé sur la « théorie de l’accueil » : l’État arabe indépendant est membre de droit dès son indépendance, le Conseil se contente de l’accueillir au sein de la Ligue. L’application de cette pratique s’est traduite par l’adhésion de quinze États.
Les adhésions successives ont permis à l’organisation d’atteindre son premier objectif : réunir l’ensemble des États arabes dans un cadre commun et spécifique. Symbole institutionnel du monde arabe contemporain, la Ligue arabe compte désormais 22 États membres caractérisés par une identité commune, mais attachés à leur liberté/souveraineté propre. Autrement dit, la volonté de créer un système global interarabe n’a pas mis fin aux États arabes : elle en est au contraire le produit, voire l’instrument.
Son existence témoigne de l’évolution des relations internationales dans la seconde moitié du XXe siècle, articulées autour d’organisations interétatiques. Si les États arabes sont membres d’organisations de diverses natures- universelle (ONU), panislamique (OCI), (sub) régionale (UMA et CCG)-, seule la Ligue des États Arabes les réunit tous dans un cadre exclusif. La plus ancienne organisation internationale post-Seconde Guerre mondiale (précédant les expériences régionales européennes, américaines, africaines ou asiatiques), a d’emblée promu sur le plan idéologique et politique, la décolonisation et le tiers-mondisme.
Le panarabisme, l’anticolonialisme et la lutte pour la libération nationale des peuples arabes sont les raisons d’être originelles de l’organisation. La Ligue s’est ainsi efforcée de défendre à l’ONU les mouvements de libération nationale qui aboutiront à la création de nouveaux États arabes (Maroc, Tunisie, Algérie, mais aussi Oman et Yémen). À l’inverse, la Palestine représente un cas symptomatique de la défaillance de la Ligue.
Malgré l’idéologie panarabiste de ses Pères fondateurs et l’appel à l’unité des États arabes par l’article 2 de son Pacte constitutif, la Ligue est une organisation de simple coopération intergouvernementale. Loin de toute intégration politique supranationale, la logique interétatique a primé de facto sur la solidarité interarabe. L’instrumentalisation de la Ligue par ses États membres a contribué à son discrédit, sentiment conforté par l’inefficacité, voire l’impuissance, de l’organisation sur la scène arabe et internationale. Toutefois, c’est surtout à la faiblesse intrinsèque des États arabes que sont dus les échecs de l’organisation.
En ce sens, la Ligue est une caisse de résonance des rapports de forces « extra-arabes »- impliquant des puissances régionales (Turquie, Israël et Iran) et internationales (États-Unis, URSS puis Russie)- et intra-arabes. Alors qu’elle devait œuvrer à l’unité arabe, la Ligue est rapidement devenue le théâtre des conflits d’intérêts (stratégiques et personnels) et des confrontations idéologiques (souverainisme et panarabisme) qui opposent les États arabes.
Elle constitue le lieu privilégié où se joue le leadership arabe. Inaudible sur la scène internationale, coupée des peuples arabes, la Ligue semblait condamnée par l’histoire. Elle a l’opportunité de (re)naître à la faveur du réveil des peuples arabes. Alors que certains de ses piliers historiques sont déstabilisés (Égypte et Syrie), la Ligue tente de renforcer sa légitimité et sa crédibilité aux yeux des peuples arabes et des acteurs internationaux. Elle n’en demeure pas moins l’éternel théâtre des jeux de pouvoirs interarabes (et internationaux, à travers les États arabes).
L’absence de ressources politiques
Si l’aspiration unitaire a permis la naissance de la Ligue arabe, l’absence de cohésion politique et la prévalence des logiques d’intérêts nationaux sur le principe de solidarité arabe ont empêché toute dynamique d’intégration. Le 30e Congrès l’a à nouveau illustré. Certes, non seulement la Ligue arabe a dénoncé la décision du président américain Donald Trump de reconnaître l’annexion du plateau du Golan par Israël, mais l’organisation a aussi rappelé la souveraineté du Liban sur les « territoires occupés » au sud par Israël, réitérant que la cause palestinienne est une « priorité » pour le monde arabe, et réaffirmé son plan « terre contre paix ».
Toutefois, le Congrès n’a accouché d’aucune mesure concrète traduisant une stratégie et une volonté communes. Cette impuissance s’inscrit dans l’histoire même de l’organisation.
Si l’aspiration unitaire a permis la naissance de la Ligue arabe, l’absence de cohésion politique et la prévalence des logiques d’intérêts nationaux sur le principe de solidarité arabe ont empêché toute dynamique d’intégration. L’action de la Ligue des États arabes est censée renforcer les liens entre ses membres, par une étroite coopération et coordination dans divers domaines. Ses objectifs généraux ont été précisés par des traités complémentaires portant sur les activités culturelles et sociales (traité signé en 1945), mais aussi sur une défense commune (traité signé en 1950). Reste qu’en pratique, le manque d’effectivité et d’efficacité caractérise la coopération des Etats arabes. La centralité de la souveraineté et de l’indépendance de chacun des États membres- concrétisée par la règle de l’unanimité- fait obstacle à tout rapprochement réel, voire des configurations unitaires sous la forme d’une « diplomatie arabe », d’un « marché arabe », d’une « monnaie arabe », voire d’une « défense arabe ».
« Win al Arab win ? » (Où sont les Arabes, où ?) chantait l’étoile libanaise Julia Boutros pour mieux s’indigner du silence et de la passivité des États arabes face à Israël. Ce chant aux résonnances panarabes est une interrogation qui garde toute son actualité. Car au-delà du sentiment que peuvent éprouver les simples citoyens et des discours officiels des responsables politiques, la solidarité exige des actes. Les Etats arabes en ont-ils la volonté et/ou les moyens ? Rien n’est moins sûr…