Le Parlement algérien vient d’adopter une loi criminalisant la colonisation française en Algérie et réclamant à l’ancienne puissance coloniale des « excuses officielles ». Et ce, au moment où Paris et Alger sont confrontés à une crise diplomatique majeure.
On peut tourner la page d’une histoire qui a duré cent trente ans, mais on ne peut pas effacer l’Histoire. Par un geste à forte portée symbolique, le Parlement algérien a adopté mercredi 24 décembre à l’unanimité une loi criminalisant la colonisation française et réclamant à la France « des excuses officielles ». Tout en pointant « la responsabilité juridique du passé colonial de l’État français en Algérie et des tragédies qu’il a engendrées ».
Crimes imprescriptibles
Ainsi, la nouvelle loi liste les crimes, jugés imprescriptibles, de la colonisation française : essais nucléaires, exécutions extrajudiciaires, pratique de la torture physique et psychologique à large échelle, ou encore pillage systématique des richesses. Par conséquent, ladite loi stipule qu’ « une indemnisation complète et équitable pour tous les dommages matériels et moraux engendrés par la colonisation française est un droit inaliénable pour l’État et le peuple algériens ».
D’autre part, le document détaille les « crimes commis par la France » et demande notamment la restitution des archives et des biens algériens transférés en France durant la période coloniale et le partage avec Alger des cartes précises des essais nucléaires français réalisés en Algérie entre 1960 et 1966. Selon le texte, l’État algérien s’emploiera à réclamer à la France qu’elle décontamine les sites des essais nucléaires. Sachant qu’entre 1960 et 1966, la France aura procédé à 17 essais sur plusieurs sites dans le Sahara algérien.
À cela s’ajoute la revendication de la récupération des dépouilles de « certaines figures de la résistance populaire, pour une inhumation sur le sol algérien ».
Enfin, le texte qualifie de « haute trahison » la « collaboration des harkis et prévoit de punir toute personne faisant l’apologie ou justifiant la colonisation.
Toutefois, « juridiquement, cette loi n’a aucune portée internationale et ne peut donc obliger la France ». Mais « elle marque un moment de rupture dans le rapport mémoriel avec l’ancienne puissance coloniale », estime pour sa part Hosni Kitouni, chercheur en histoire de la période coloniale à l’université britannique d’Exeter.
Un lourd tribut
Au-delà de la charge symbolique de cette loi, il y a lieu de signaler que les historiens sont unanimes à estimer que la conquête de l’Algérie, à partir de 1830, a été marquée par des violences extrêmes concrétisées par des tueries massives et des déportations à grande échelle. À titre d’exemple, rien que la sanglante guerre d’indépendance (1954-1962) aura fait 1,5 million de martyrs selon l’Algérie, 500.000 dont 400.000 Algériens, selon les historiens français.
À signaler que ce vote « historique », qui soulève les affres de la colonisation française en Algérie, intervient au moment où les relations en dents de scie entre les deux capitales ont connu une poussée de fièvre à la suite de la reconnaissance à l’été 2024 par la France de la marocanité du Sahara occidental; en passant par la condamnation et l’incarcération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, finalement gracié à la faveur d’une intervention allemande.
Un pas en avant, deux pas en arrière
Pourtant, les relations souvent tumultueuses entre Paris et Alger auraient pu prétendre à un certain apaisement relatif au passé mémoriel commun fait à la fois de proximité et de répulsion, quand Emmanuel Macron, alors candidat à la présidentielle française, qualifia en 2017 la colonisation de l’Algérie de « crime contre l’humanité ». Ajoutant que « cela fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes ». Paroles, paroles…
Car, une fois à l’Elysée, le chef de l’État français s’engagea à des « actes symboliques » pour tenter de réconcilier les deux pays, mais en excluant cette fois des « excuses ». Par la suite, par une bourde monumentale, il avait provoqué l’ire d’Alger en s’interrogeant, selon le journal Le Monde, sur « l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation ». Impardonnable.
Quai d’Orsay : « Une initiative hostile »
C’est « une initiative manifestement hostile, à la fois à la volonté de reprise du dialogue franco-algérien, et à un travail serein sur les enjeux mémoriels ». Ainsi a déploré, mercredi 24 décembre, le ministère français des Affaires étrangères.
Le porte-parole du Quai d’Orsay a souligné pour sa part que la France n’avait « pas vocation à commenter la politique intérieure algérienne ». Tout en déclarant qu’elle ne pouvait que déplorer une telle initiative, relevant « l’ampleur du travail engagé par le président Emmanuel Macron s’agissant de la mémoire de la colonisation au travers d’une commission mixte d’historiens français et algériens ».
De toute évidence, le passé colonial traumatisant continue de planer sur les deux rives de la Méditerranée. Aussi faudra-t-il donner du temps au temps pour que les plaies finissent enfin par se cicatriser.