L’euro avance prudemment mais sûrement face au dollar, dans un moment charnière où les banques centrales des deux côtés de l’Atlantique s’apprêtent à façonner le paysage monétaire des prochains trimestres.
À l’approche de la réunion de la Réserve fédérale américaine (Fed), les marchés accordent désormais une probabilité écrasante à une baisse imminente des taux directeurs. Tandis que la Banque centrale européenne (BCE) semble déterminée à maintenir sa position de pause monétaire. Cette divergence subtile mais déterminante nourrit actuellement le redressement de l’euro, qui évolue autour de 1,1645 dollar dans la séance asiatique de lundi.
Ce mouvement technique, qui pourrait paraître modeste, porte en réalité des implications majeures pour les économies périphériques, dont la Tunisie, fortement exposée aux turbulences du marché des changes.
La dynamique (1) qui s’installe repose largement sur l’affaiblissement progressif du dollar. Les investisseurs anticipent presque unanimement une réduction de 25 points de base du taux des fonds fédéraux, ramenant la fourchette entre 3,50 % et 3,75 %.
Cette vision d’un cycle d’assouplissement désormais engagé suffit à peser sur le billet vert. Mais les opérateurs demeurent attentifs au ton qu’adoptera la Fed (2). En effet, une baisse de taux assortie d’un discours ferme – le fameux « hawkishcut » – pourrait facilement inverser la tendance et offrir un répit au dollar en fin d’année. Tout se jouera dans l’orientation du message, plus encore que dans l’ajustement lui-même.
En zone euro, le tableau évolue dans un sens presque opposé. Les dernières données d’inflation ont légèrement dépassé les attentes en novembre. Une surprise qui allège paradoxalement la pression immédiate sur la BCE.
L’institution de Francfort devrait maintenir le statu quo lors de la réunion du 18 décembre, considérant que la normalisation monétaire opérée depuis deux ans doit encore déployer ses effets. Ce contraste entre un dollar pénalisé par l’anticipation d’une détente et un euro stabilisé par l’attentisme de la BCE confère aujourd’hui un avantage tactique à la devise européenne.
Les divergences d’analyse au sein des grandes banques (3) illustrent toutefois l’incertitude de moyen terme. Goldman Sachs privilégie un horizon prolongé de stabilité, avec un taux de dépôt maintenu à 2 % jusqu’en 2026. Deutsche Bank, plus prudente, estime qu’une hausse marginale reste possible si les pressions inflationnistes persistent.
La BCE devrait maintenir le statu quo lors de la réunion du 18 décembre, considérant que la normalisation monétaire opérée depuis deux ans doit encore déployer ses effets. Ce contraste entre un dollar pénalisé par l’anticipation d’une détente et un euro stabilisé par l’attentisme de la BCE confère aujourd’hui un avantage tactique à la devise européenne.
Aux États-Unis, les débats s’annoncent tout aussi serrés : plusieurs stratégistes anticipent des fractures internes au comité FOMC, nourries autant par les partisans de l’orthodoxie monétaire que par ceux plaidant pour une action plus souple. Dans un tel contexte, la volatilité sur l’EUR/USD devrait rester élevée durant tout le premier semestre 2026.
Les prochains indicateurs conjoncturels européens — notamment l’indice Sentix de confiance des investisseurs et la production industrielle allemande (4) — pourraient également influencer l’orientation des anticipations. Un rebond industriel, même timide, viendrait renforcer la thèse d’une zone euro résistante, offrant un nouvel appui à l’euro. À l’inverse, un repli marqué raviverait la pression sur la BCE et ouvrirait la voie à un rééquilibrage monétaire.
Implications pour la Tunisie : un moment charnière pour le dinar
L’évolution actuelle du marché des changes ne constitue pas seulement un mouvement technique entre deux devises majeures : elle façonne directement l’environnement macro financier dans lequel évolue la Tunisie.
Le pays, dont les importations sont majoritairement libellées en euro mais dont une part significative de la dette et des paiements extérieurs demeure en dollar, se trouve au cœur d’un arbitrage délicat.
Un euro qui se renforce et un dollar qui se replie constituent, à court terme, une configuration globalement favorable pour la Tunisie.
Ainsi, la baisse relative du dollar permettrait d’alléger temporairement la facture énergétique et celle des matières premières, généralement indexées sur la devise américaine. Cela pourrait contribuer à réduire les pressions sur la balance commerciale en fin d’année, dans un contexte où les déficits structurels restent importants.
La Tunisie, dont les importations sont majoritairement libellées en euro mais dont une part significative de la dette et des paiements extérieurs demeure en dollar, se trouve au cœur d’un arbitrage délicat.
Simultanément, un euro plus robuste soutient indirectement le dinar, compte tenu du panier de référence où la monnaie unique occupe une part dominante. Historiquement, les épisodes de raffermissement de l’EUR/USD se traduisent par une stabilisation du dinar face à l’euro et par une modération des tensions vis-à-vis du dollar. Si la tendance actuelle se confirme, le dinar pourrait évoluer dans une zone plus confortable au tournant de 2026, ce qui réduirait marginalement les pressions sur les réserves en devises.
Toutefois, ce répit n’efface pas les vulnérabilités. Une communication agressive de la Fed, renforçant temporairement le dollar, pourrait rapidement inverser les gains. De même, si la BCE venait à adopter un ton plus prudent début 2026, l’euro pourrait perdre une partie de son avantage. Pour la Tunisie, cela signifierait un risque renouvelé de glissement du dinar, surtout dans un contexte où la croissance demeure modérée, les besoins de financement importants et les marges de manœuvre monétaires limitées.
À moyen terme, le pays devra également composer avec une réalité incontournable : les conditions financières internationales vont rester volatiles en 2026. La divergence des politiques monétaires, les hésitations conjoncturelles européennes, les tensions géopolitiques et la fragmentation commerciale peuvent rapidement amplifier les mouvements de change. Pour la BCT, l’enjeu sera de maintenir une trajectoire de stabilisation progressive du dinar tout en évitant un resserrement trop prononcé qui pourrait pénaliser davantage les liquidités bancaires et l’activité réelle.
Perspectives 2026 : une fenêtre d’opportunité à saisir
Si l’euro poursuit sa trajectoire ascendante, la Tunisie pourrait bénéficier d’une fenêtre d’amélioration relative de ses conditions extérieures au premier semestre 2026. Un dollar plus faible allégerait certaines charges externes et pourrait contribuer à modérer l’inflation importée, élément crucial dans la gestion du pouvoir d’achat et de la stabilité sociale. Un euro stable ou légèrement renforcé offrirait par ailleurs un appui au dinar, favorisant une meilleure visibilité pour les opérateurs économiques et les investisseurs.
À l’orée de 2026, le mouvement de l’euro face au dollar esquisse donc un scénario de stabilisation favorable, mais non garanti. Pour la Tunisie, la priorité consiste désormais à transformer cette accalmie relative des marchés en marge de manœuvre durable, tant pour l’économie réelle que pour la trajectoire du dinar.
Mais cette fenêtre reste fragile. Elle dépendra largement de la capacité de l’Europe à éviter une récession, de la posture réelle de la Fed après décembre et de la stabilité géopolitique régionale. Dans un environnement incertain, la Tunisie devra accélérer ses ajustements internes, renforcer sa discipline budgétaire, améliorer la transparence de ses circuits de distribution et optimiser son plan de financement extérieur pour tirer pleinement parti d’un cycle monétaire mondial en transition.
À l’orée de 2026, le mouvement de l’euro face au dollar esquisse donc un scénario de stabilisation favorable, mais non garanti. Pour la Tunisie, la priorité consiste désormais à transformer cette accalmie relative des marchés en marge de manœuvre durable, tant pour l’économie réelle que pour la trajectoire du dinar.
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Références :
(1) Salle des marchés-IAEF(ONG)-09/12/2025 16:54.
(2)communiqués :
(3) communiqués : FED, Goldman Sachs, Deutsche Bank…
(4)communiqué Sentix
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)