Les députés ont maintenu les droits de douane à 30 % au lieu de les réduire à 15 % et ont ainsi torpillé l’article 47 du PLF 2026. La loi de finances a été adoptée sans cet article. Une décision qui pourrait coûter cher à la transition énergétique du pays, alerte Ezzedine Khalfallah.
Dans une déclaration à L’Économiste Maghrébin, Ezzedine Khalfallah, consultant international en énergie, dénonce les conséquences du rejet de l’article 47 du projet de loi de finances 2026 par les commissions des finances et du budget de l’ARP et du CNRD. Cet article visait à réduire le droit de douane sur l’importation des panneaux solaires, qui relèvent du code tarifaire 85.41, de 30 % à 15 %.
Selon le consultant, cet article avait pour objectif d’encourager l’installation d’équipements photovoltaïques, d’accélérer la transition énergétique, de réduire le coût de production de l’électricité solaire et de rendre les projets solaires plus accessibles.
Toutefois, l’Assemblée des représentants du peuple et le Conseil national des régions et des districts ont annulé cet article lors de l’examen en commissions des finances et du budget. Ezzedine Khalfallah explique que ce rejet s’inscrit dans un arbitrage entre la volonté de protéger l’industrie locale et l’ouverture au marché extérieur. Certains décideurs privilégieraient le maintien d’une protection tarifaire pour des raisons de souveraineté industrielle ou de soutien aux fabricants nationaux, bien que la capacité de l’industrie tunisienne dans le domaine de la photovoltaïque demeure très limitée, avec quelques rares entreprises locales de fabrication, la plupart des panneaux étant importés.
Des considérations budgétaires ont également pesé dans la balance. Selon M. Khalfallah, certains parlementaires estiment que même si l’impact sur la production locale est faible, la baisse des recettes douanières, même partielle, n’est pas souhaitable.
Les organisations professionnelles réclament la réintroduction de l’article
Le maintien du taux douanier élevé à 30 %, plutôt que sa réduction à 15 % voire à 0 % selon certaines voix du secteur, a suscité des réactions et critiques de la part des organisations professionnelles du secteur des énergies renouvelables. Ces dernières dénoncent le rejet, réclament la réintroduction de l’article 47 et alertent sur le risque de bloquer les ambitions nationales en matière de transition énergétique.
Le consultant identifie plusieurs conséquences potentielles du maintien du taux douanier élevé. En premier lieu, il constituerait un frein à la diffusion des panneaux photovoltaïques, car le coût d’importation demeurerait élevé, ce qui rendrait l’installation solaire plus coûteuse pour les ménages, les petites entreprises ou les industriels.
Le rejet pourrait également entraîner un ralentissement de la transition énergétique. Il intervient alors que la Tunisie vise à accroître la part des énergies renouvelables. Plusieurs acteurs du secteur estiment que sans une baisse des tarifs douaniers, il serait difficile d’atteindre les objectifs nationaux.
Par ailleurs, la mesure pourrait diminuer l’attractivité des investissements dans le solaire. Pour les investisseurs, l’équation financière deviendrait moins avantageuse, ce qui pourrait décourager le développement de projets photovoltaïques en Tunisie. Enfin, le pays maintiendrait sa dépendance continue aux importations coûteuses, la filière locale n’étant pas capable de produire en volume suffisant, ce qui pèserait sur le coût de l’électricité solaire pour l’utilisateur final.
Une tension structurelle à résoudre
Khalfallah relève l’existence d’une tension structurelle : d’un côté, l’État et certains députés souhaitent protéger l’industrie locale et maintenir des recettes douanières ; de l’autre, la réalité montre que l’industrie nationale ne produit que peu de panneaux, ce qui rend l’objectif de souveraineté peu crédible à court terme, alors que le pays aurait besoin de déployer rapidement des capacités solaires pour alléger la facture énergétique, réduire le déficit énergétique et respecter ses engagements en matière de transition énergétique.
Le consultant estime qu’en l’absence d’une évaluation précise de l’impact des options d’élévation ou de baisse des droits de douane qui concernent les panneaux photovoltaïques, il paraît difficile de se prononcer sur la crédibilité de l’une ou l’autre de ces options. Il préconise la réalisation de simulations afin de rechercher le taux optimal qui permettrait de concilier les deux approches.
Une comparaison régionale défavorable à la Tunisie
En élargissant la perspective, le spécialiste souligne que la Tunisie évolue à contre-courant des pratiques observées dans les pays voisins. « En comparant avec ce qui est pratiqué dans d’autres pays de la région, on constate que plusieurs États ont choisi d’alléger ou d’éliminer les droits sur les panneaux et aussi sur leurs composants afin d’accélérer le déploiement des projets, attirer les investissements et/ou favoriser une industrie locale », explique-t-il.
Avec un taux de 30 %, la Tunisie se situe aujourd’hui « bien au-dessus » des pratiques régionales. Selon lui, « une politique ciblée d’exonérations temporaires, couplée à des conditions de contenu local, serait la voie la plus efficace pour réduire le coût des installations, stimuler l’autoconsommation et lancer une filière industrielle nationale ».
Le consultant rappelle également que les panneaux photovoltaïques représentent 35 à 40 % du coût total d’une installation solaire, tandis que les autres composantes — onduleurs, câblage, structures métalliques, batteries, travaux d’installation et raccordement — en constituent 60 à 65 %. « De ce fait, il y a lieu de relativiser ce genre de confrontation entre les différentes parties prenantes », insiste-t-il.
À titre d’exemple, il estime que si les droits de douane étaient abaissés de 30 % à 5–10 %, « le coût total d’une centrale (CAPEX) pourrait baisser de 8 à 12 %, et le coût du kWh produit (LCOE) pourrait diminuer de 5 à 8 % ». Une réduction significative, susceptible — selon lui — de redonner un véritable élan à la transition énergétique nationale.