Mort pour une cartouche de cigarettes ? Le décès tragique d’un jeune contrebandier lors d’une altercation avec les forces de l’ordre a soulevé une vive émotion dans les réseaux sociaux et provoqué des émeutes dans certains quartiers populaires de la capitale. Retour sur une sombre affaire.
En attendant l’enquête diligentée par le Parquet du tribunal de première instance de Tunis, ainsi que les résultats de l’enquête balistique et de l’autopsie du jeune homme victime de tirs d’un agent douanier, la réponse à la question bavure policière ou légitime défense est loin d’être évidente. Tant les versions des uns et des autres sont contradictoires.
Balle perdue dans le feu de l’action ?
Première version. Selon un communiqué émanant, jeudi 8 septembre 2022, de la direction de la douane, il s’agit d’une descente opérée par les douaniers. Et ce, suite à une collecte d’informations affirmant qu’une grande quantité de cigarettes de contrebande se trouvait dans une voiture située au centre-ville près de la station de métro le Passage.
Toujours selon la même source, la patrouille, qui s’était rendue sur place afin de procéder à la saisie de la marchandise, s’est retrouvée face à une foule de contrebandiers armés de projectiles. L’agression avait donné lieu à une blessure grave de l’un des agents de la douane. Lequel a été victime d’une tentative d’écrasement par la voiture en question. «Cela a poussé l’un de ses collègues à utiliser son arme à feu afin de procéder à des tirs de sommation en l’air et à viser les roues du véhicule. L’un des tirs a touché le conducteur».
Le communiqué précise également que le ministère public a ouvert une enquête à ce sujet et que les agents de la patrouille ont été placés en garde à vue. «L’agent blessé a subi une opération en raison de fractures crâniennes, du nez et de la mâchoire». La douane a adressé ses condoléances à la famille du défunt et a souhaité un bon rétablissement à l’agent blessé lors de cette intervention.
Bref, selon la version officielle de la douane, la patrouille “s’est retrouvée face à une foule de contrebandiers armés de projectiles”, et que l’un des agents de la douane a été “victime d’une tentative d’écrasement”. Il s’agit par conséquent d’un cas de légitime défense et d’une balle perdue ayant causé la mort du jeune contrebandier.
Acte prémédité, selon la LTDH
Deuxième version : dans une intervention sur les ondes de Diwan FM, jeudi 8 septembre, le vice-président de la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme Bassem Trifi a soutenu que contrairement à la version officielle présentée par la douane, “le douanier n’a pas tiré sur les pneus du véhicule mais plutôt vers le pare-brise”. Et ce, selon le témoignage d’un membre de la LTDH qui avait assisté à l’accident. Qualifiant cette opération de “meurtre”.
M. Trifi est-il conscient de la gravité de cette accusation ? A-t-il révélé en bon citoyen l’identité de ce témoin oculaire aux enquêteurs du Parquet de Tunis ?
Notons que, pour sa part, l’ONG anti-corruption I Watch a dénoncé jeudi les agissements des services de sécurité tunisiens, qualifiant la mort du jeune Tunisien mercredi de “scène de barbarie et une infamie qui hantera cet Etat policier”.
Emeutes
Rappelons que suite au décès du jeune Mohsen Zeyani, 25 ans, originaire de Kasserine, des membres de la famille et des amis se sont rassemblés dans la nuit devant l’hôpital où son décès a été constaté. Aussitôt, des émeutes ont éclaté dans certains quartiers, notamment devant la caserne de la douane au niveau d’El Ouardia ou à Cité Ettadhamen.
Le spectre de Bouazizi
Rappelons que ce regrettable incident survient dans une situation économique de tous les dangers où la grogne sociale couve notamment à cause des pénuries récurrentes de plusieurs produits de base.
A l’image du vendeur ambulant Mohamed Bouazizi, lequel s’immola par le feu après la confiscation de sa marchandise par des policiers, ce jeune homme est l’incarnation d’une jeunesse aux abois ; cherchant à s’en sortir soit par la contrebande, soit par l’immigration irrégulière vers l’Eldorado de l’autre rive de la Méditerranée dans les embarcations de la mort. No Future.