Saida Belouali, professeure en éthique de l’IA à l’université Mohammed Premier et fondatrice de l’Africa Institute, a lancé un vibrant appel : l’intelligence artificielle méditerranéenne doit refléter la diversité et la complexité de la région. Selon elle, il ne s’agit plus de se contenter d’être de simples consommateurs de technologies, mais de développer des intelligences artificielles profondément enracinées dans les réalités locales, capables de transformer la richesse culturelle et linguistique de la Méditerranée en un atout stratégique à l’échelle mondiale.
Retour sur son intervention lors du panel « L’intelligence artificielle méditerranéenne : enjeux d’ancrage, de pluralité et de responsabilité » au Forum MED IA, le 21 novembre 2025 à la Cité de la Culture.
En clôture des interventions, Saida Belouali a insisté sur la nécessité de revenir aux fondamentaux et de résoudre d’abord des débats conceptuels avant toute avancée technologique. Selon elle, il est crucial de définir sémantiquement ce que recouvre l’« IA méditerranéenne » et de la « désancrer » d’une vision abstraite qui la ferait apparaître neutre et objective. La standardisation, a-t-elle rappelé, est précisément le terreau des biais, préjugés et autres problèmes éthiques qui jalonnent le développement de l’intelligence artificielle.
Pour Belouali, désancrer l’IA, c’est se rappeler qu’il s’agit avant tout de calculs produits par des industriels, financés par des investisseurs et guidés par des logiques concurrentielles. Mais c’est aussi comprendre la Méditerranée comme un espace pluriel, multilingue et multiculturel, où coexistent plus de quatre-vingts langues et dialectes, une multitude de cosmologies et d’héritages religieux et culturels, et des valeurs évoluant différemment selon les pays depuis soixante-dix ans. Construire une IA méditerranéenne, a-t-elle souligné, nécessite d’identifier ce socle commun capable de servir de fondement à une intelligence artificielle représentative et responsable.
La question des investissements et des responsabilités économiques est également centrale. Alors que la Méditerranée ne représente que 4,4 % de l’investissement global en IA, la majeure partie revient à la France et à Israël. Belouali a rappelé qu’il faut « désancrer certains mythes » et admettre que la région subit des risques sans bénéficier pleinement des opportunités. Entre janvier 2024 et janvier 2025, l’Observatoire des incidents et dangers de l’IA de l’OCDE a enregistré une augmentation de 1538 % des incidents liés à l’IA.
Pour la Méditerranée, ce chiffre se traduit par 11 % des incidents en juillet 2025, alors même que sa contribution à l’investissement global reste marginale.
La professeure a conclu en appelant à une mobilisation urgente pour créer une intelligence artificielle méditerranéenne, « une IA qui nous ressemble », capable de transformer la pluralité de la région en force et de placer la Méditerranée sur la carte mondiale de l’innovation technologique tout en respectant les principes éthiques.