La réforme fiscale rime avec la modernisation et la simplification du système, tout en renforçant la justice sociale et la compétitivité économique. Elle s’appuie sur la digitalisation de l’administration fiscale, l’élargisse- ment de l’assiette, la lutte contre la fraude et l’instauration d’une fiscalité stable, transparente et équitable. Ce chantier majeur, orienté vers la numérisation des services, la réduction des exonérations inefficaces, la révision progressive des barèmes d’imposition et la lutte accrue contre l’économie informelle, illustre la volonté de conci- lier rigueur budgétaire, justice sociale et développement économique durable. Ali Khribi, expert fiscal-juriste, insiste sur l’importance de relever les défis structurels persistants, notamment la cohérence législative, le renforcement de la transparence fiscale et l’établis- sement d’une relation de confiance renouvelée entre l’administration et les citoyens. Interview.
Dans un contexte marqué par la nécessité de concilier rigueur budgétaire et justice sociale, quelles mesures stratégiques doivent être adoptées pour renforcer la transparence fiscale et moderniser la lutte contre la fraude ?
En Tunisie, la question fiscale est au cœur de l’équilibre entre rigueur budgétaire et justice sociale. Avec une dette élevée, un déficit chronique et un large secteur informel, il devient urgent de rétablir la confiance entre l’État et les citoyens. Cela passe par une transparence radicale, une lutte technologique contre la fraude et une refonte simplifiée et équitable du système fiscal, adaptée aux réalités tunisiennes.
Ainsi, la Tunisie peut instaurer une plateforme nationale de transparence budgétaire, où chaque citoyen suit en temps réel les recettes fiscales et leur utilisation par secteur (éducation, santé, infrastructures, subventions). Ce suivi pourrait être personnalisé par un « relevé fiscal citoyen », indiquant l’affectation estimée de la contribution de chaque foyer. Un inventaire annuel des avantages fiscaux – souvent octroyés aux grandes entreprises ou aux secteurs protégés – doit être publié et soumis à évaluation parlementaire. De plus, un registre tunisien des bénéficiaires effectifs interconnecté avec la Banque centrale, la Douane et le Registre national des entreprises, limiterait l’usage des sociétés-écrans.
Par ailleurs, il y a lieu de moderniser la lutte anti-fraude. La fraude à la TVA, la contrebande et l’économie parallèle représentent un manque à gagner colossal. La généralisation de la facturation électronique dans les grandes surfaces, les grossistes et progressivement les PME, associée à un pré-remplissage automatique des déclarations, réduirait les fausses factures.
Le croisement de données fiscales, bancaires et douanières permettrait de mieux cibler les contrôles, notamment dans les secteurs à forte circulation de cash comme l’immobilier, le commerce de gros et le transport. Les plateformes numériques locales (commerce en ligne, location saisonnière) devraient être obligées de déclarer automatiquement les revenus. Pour le secteur des hydrocarbures et du tabac – à forte fraude -, l’État pourrait imposer une traçabilité numérique des stocks par code-barres sécurisé.
Enfin, la Tunisie pourrait mettre en place une blockchain douanière pour contrôler les flux aux frontières, réduire la contrebande et sécuriser les recettes. La simplification et l’équité est de mise, car la complexité du système tunisien pousse de nombreux petits acteurs vers l’informel. L’instauration d’un impôt unique simplifié pour les TPE et les professions libérales, payé via mobile money ou plateformes bancaires, permettrait d’élargir l’assiette sans alourdir les démarches. La suppression progressive des niches fiscales inefficaces – souvent captées par les grands groupes – libérerait des marges pour financer un crédit d’impôt remboursable ciblé en faveur des familles modestes. Une TVA modulée pourrait aussi encourager la consommation responsable. Pour la Tunisie, la révolution fiscale passe par trois priorités : ouvrir totalement les comptes publics pour restaurer la confiance, digitaliser la lutte contre la fraude afin de réduire l’économie parallèle, et simplifier la fiscalité pour intégrer les petites structures et protéger les plus modestes. Ces réformes ne demandent pas nécessairement d’augmenter les taux d’imposition, mais d’élargir l’assiette et de garantir l’équité. Ainsi, l’État pourra financer ses politiques sociales et économiques tout en consolidant sa stabilité budgétaire.
Le mot de la fin.
La Tunisie, forte de son potentiel humain et de sa capacité d’innovation, a les moyens de tracer un chemin vers un avenir meilleur. Avec la volonté collective et l’engagement des institutions, demain peut être porteur de stabilité et de progrès. L’État peut bâtir une relation de confiance solide avec les citoyens, fondée sur la transparence et l’équité, en plaçant la fiscalité au cœur de cette dynamique. Mettre en place un cadre fiscal durable et incitatif, c’est garantir des règles claires et stables, capables de soutenir la croissance économique, de protéger l’équité sociale et d’assurer la sécurité juridique. C’est aussi orienter l’investissement vers l’innovation, la productivité et la transition écologique, tout en veillant à une juste répartition de l’effort entre tous. En conciliant ces objectifs, la Tunisie pourra instaurer un cercle vertueux où la fiscalité devient non seulement un instrument de financement, mais aussi un levier de confiance, de justice et de développement durable.
Extrait de l’interview qui est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n 928 du 24 septembre au 8 octobre 2025