Le 25 septembre 2003 disparaissait le penseur américain d’origine palestinienne Edward Said. Le 26 septembre 2025 marque l’anniversaire des vingt-deux ans de sa mort, et pourtant son héritage n’a jamais été aussi actuel.
Dans un monde fragmenté par les nationalismes et les tensions identitaires, sa pensée résonne avec une urgence presque prophétique. Vingt-deux ans après sa disparition, son œuvre, en particulier L’Orientalisme : L’Orient créé par l’Occident (1978), reste un outil intellectuel indispensable, non comme une relique du passé, mais comme une lentille pour comprendre le présent. Précurseur et pionnier, il a ouvert la voie au mouvement postcolonial en abordant la question fondamentale de la domination culturelle.
Au cœur de sa réflexion se trouve une idée révolutionnaire : l’Occident n’a pas simplement rencontré l’Orient, il l’a construit. Pour Said, l’Orient a été façonné selon les besoins, les désirs et les fantasmes de l’Occident. Il ne s’agissait jamais d’un simple échange culturel, mais d’une relation de pouvoir profondément asymétrique dans laquelle l’Orient est systématiquement dominé. Cette construction a permis de légitimer la domination en fabriquant une image stéréotypée de l’Autre. Aujourd’hui, cette analyse garde une résonance troublante : la montée des populismes contemporains repose souvent sur la création d’ennemis imaginaires pour servir des agendas politiques internes, reproduisant exactement le mécanisme que Said dénonçait.
Son héritage dépasse la théorie : c’est un mouvement, une posture, une liberté de pensée. Said a transmis une méthode critique consistant à croiser les disciplines pour produire des analyses rigoureuses, aussi sévères que possible envers les versions officielles de l’histoire. Le cas palestinien est, dans son œuvre, le paradigme tragique de cette approche. Pour lui, la dépossession de la terre palestinienne par le sionisme relevait du même processus que l’orientalisme : la dépossession de la Terre par l’Occident et l’étranger. La persistance de ce conflit et la marginalisation du récit palestinien confirment chaque jour la pertinence de sa lecture.
Vision radicale
La puissance de la pensée de Said se révèle également lorsqu’on la confronte aux grandes théories de la fin du XXᵉ siècle. Sa vision s’oppose radicalement au choc des civilisations de Samuel Huntington. Là où Huntington voyait des blocs monolithiques et antagonistes, Said dénonçait une simplification dangereuse, un choc de l’ignorance qui essentialise les cultures et nie leur hybridité. De même, sa pensée constitue l’antithèse de la fin de l’histoire de Francis Fukuyama. Le prétendu triomphe universel de la démocratie libérale occidentale représente pour Said la version officielle de l’histoire, racontée par les vainqueurs et effaçant les luttes des peuples dominés pour qui l’histoire est loin d’être achevée.
L’héritage d’Edward Said demeure une boussole critique. Il offre une vision dont nous avons cruellement besoin aujourd’hui pour nous libérer des populismes, des nationalismes et de tout ce qui enferme le monde au lieu de l’ouvrir. En nous apprenant à déconstruire les récits de pouvoir, son œuvre reste un appel à la vigilance intellectuelle et à l’humanisme.