Dans les cercles de la finance moderne, la notion de proactivité est souvent érigée en vertu cardinale. Être proactif, c’est anticiper les mouvements du marché, prévoir les chocs, ajuster les portefeuilles à l’avance, et devancer les crises. Cette approche repose sur un postulat central : la possibilité de modéliser l’avenir à partir du passé.
Mais que se passe-t-il lorsque l’environnement financier est si incertain, si non linéaire, qu’il répond plutôt aux lois du chaos? La proactivité conserve-t-elle encore une quelconque pertinence dans un tel contexte? Cet article explore cette tension, voire cette incompatibilité.
La proactivité en finance : une illusion séduisante?
En finance, la proactivité suppose une certaine prévisibilité du futur, même si cette prévisibilité est probabiliste. L’arsenal d’outils déployés pour cela est vaste : modèles économétriques, simulations de Monte Carlo, intelligence artificielle, théorie des jeux, etc. Tous partagent l’ambition de donner un avantage informationnel basé sur des corrélations passées, des tendances projetées et une compréhension des cycles.
Or, cette vision est remise en cause dès lors que l’on admet que les marchés ne sont pas des systèmes stables ou stationnaires, mais plutôt des systèmes dynamiques complexes, sensibles aux conditions initiales, autrement dit, des systèmes chaotiques.
Finance et chaos : des systèmes hautement sensibles
Le chaos, dans sa définition scientifique, ne signifie pas le désordre absolu, mais l’imprévisibilité à long terme malgré des lois déterministes.
Appliqué à la finance : une petite variation dans les données initiales – sentiment de marché, évolution géopolitique, parole d’un banquier central – peut entraîner des effets disproportionnés. Les relations de cause à effet deviennent non linéaires et souvent invisibles où les cycles sont irréguliers, voire fractalement instables.
Dans un tel système, prévoir l’avenir à partir du passé devient structurellement impossible au-delà d’un certain horizon temporel. Autrement dit, la proactivité peut produire une illusion de contrôle là où il n’y en a pas.
L’asymétrie du risque et le mirage de la maîtrise
Être proactif en environnement chaotique, c’est souvent se placer dans une situation d’exposition accrue à des événements extrêmes non modélisables – les fameux « cygnes noirs » de Nassim Taleb -. En croyant agir rationnellement à partir de modèles imparfaits, les acteurs peuvent :
- Renforcer les risques systémiques (comme dans le cas de la crise de 2008 avec les dérivés de crédit mal évalués);
- Se sur-exposer à l’inattendu, en croyant se prémunir contre le connu;
- Prendre des décisions précipitées, amplifiées par un excès de confiance algorithmique.
Vers une posture d’humilité stratégique?
Si la proactivité perd de son efficacité, voire devient contre-productive en environnement chaotique, quelle alternative adopter? Il ne s’agit pas de prôner l’inaction, mais plutôt une posture d’humilité stratégique :
- Résilience plutôt que prédiction : construire des portefeuilles robustes face à une variété de scénarios extrêmes.
- Réactivité maîtrisée : être capable d’ajuster rapidement, mais sans céder à l’illusion de l’anticipation parfaite.
- Simplicité robuste : privilégier des stratégies simples et transparentes qui résistent mieux aux effets de bord.
Pour finir, la proactivité en finance est fascinante, elle donne l’impression d’un contrôle sur un avenir incertain. Mais dans un monde régi par des dynamiques chaotiques, cette anticipation peut devenir non seulement inefficace, mais dangereuse. Repenser les stratégies d’investissement à l’aune de l’imprévisibilité et de l’incertain devient un impératif : cela implique de privilégier l’adaptation, la résilience et, surtout, une forme de modestie intellectuelle face à la complexité du réel.
———————-