La publication récente du dernier bulletin des « paiements en chiffres en Tunisie » de la Banque centrale semble confirmer les craintes exprimées depuis l’entrée en vigueur de la réforme du chèque. Les données révèlent une baisse de 62% de l’utilisation du chèque comme moyen de paiement entre le premier trimestre 2024 et celui de 2025.
Depuis le 2 février 2025, les nouveaux chèques circulent, soumis à un plafond et permettant de vérifier la solvabilité de l’émetteur avant d’accepter le chèque. Les Tunisiens étaient nombreux à l’utiliser comme moyen de paiement différé. Cette mesure a ainsi profondément perturbé et désorganisé les circuits habituels de paiement. Ni la lettre de change ni les virements ne semblent constituer des alternatives crédibles. Le constat aujourd’hui est un repli vers le cash. Un phénomène attesté par les données récentes qui indiquent qu’à la fin avril 2025, la masse monétaire M3 a augmenté de 11,3% par rapport à la même période de 2024.
Si cette montée du cash ne peut être directement attribuée qu’à cette seule cause, elle pousse néanmoins à s’interroger sur les effets de cette réforme sur les comportements de paiement des Tunisiens. Par ailleurs, cette progression du cash dans les transactions quotidiennes vient compliquer la mise en œuvre de la stratégie de de-cashing engagée par les autorités publiques et la Banque centrale de Tunisie (BCT) depuis plusieurs années. De surcroît, cela rend plus difficile la traçabilité des transactions financières, alimente directement le marché informel et complique davantage l’équation des finances publiques.
Ce glissement vers le cash intervient alors même que le secteur informel représente près de 35% du PIB tunisien, selon un rapport du PNUD portant sur l’économie informelle en Tunisie. Cela représente un défi stratégique majeur pour la stabilité financière, une fuite dans les canaux de mobilisation des ressources fiscales et une entrave sur le chemin de la transparence économique. L’effort des autorités de réintégrer le secteur informel se heurte aux effets de cette réforme qui rendent l’objectif plus difficile à atteindre dans l’immédiat. Pendant que le monde est embarqué dans l’ère de la digitalisation, l’économie tunisienne se réjouit de naviguer encore dans l’univers du cash au point de ne pas pouvoir s’en détacher !?
Par Noura Harboub-Labidi
Cet article est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 922 du 18 juin au 2 juillet 2025